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mes mémoires

valent une haute prédication. Ce qui lui manque à lui aussi, c’est la préparation et peut-être le don littéraire tout court. Simple porteur de diplômes de philosophie et de théologie, il n’ira poursuivre des études de littérature à Paris que sa carrière de professeur de Rhétorique à peu près terminée. Professeur de littérature, il accorda plus d’importance à la technique qu’à l’art. Et encore la technique, une technique forgée par lui, est-elle fort contestable. Il croit, par exemple, et d’une foi forcenée, à la puissance du « tableau » pour renforcer une argumentation ou illustrer une idée. Il corrige pourtant avec assez de justesse nos compositions. Il voit mieux nos travers que les siens. Il s’essaie à faire de l’explication d’auteur, explication qui, par l’heureux choix des auteurs analysés, nous livre quelques secrets du grand et terrible métier. Explication d’idées plus que de forme néanmoins. Dissection de la pensée plus que démonstration d’art littéraire.

Quand je me rappelle l’enseignement de mes deux professeurs de littérature à Sainte-Thérèse, une chose entre autres me laisse rêveur aujourd’hui : que je les trouve peu à la page ! Pauvres professeurs de petit salaire et pauvres de fortune presque tous, sans doute étaient-ils munis de pauvres bibliothèques ! À l’époque où je fais mes classes de lettres, Brunetière, Faguet, Lemaître figurent parmi les dieux de la littérature. Or je ne crois pas me souvenir qu’en classe l’un ou l’autre de nos professeurs n’ait jamais prononcé l’un de ces noms, ni ne nous ait lu une ligne des maîtres alors régnants. Le nom de Brunetière, nous ne l’entendrons prononcer qu’en ma dernière année de Philosophie, alors que le directeur de la Revue des Deux-Mondes, de passage au Canada, après une tournée de conférences aux États-Unis, viendra à l’Université Laval de Montréal, parler de Bossuet. Petit événement en notre monde littéraire qui se répercutera jusqu’en nos collèges. Quelques professeurs du Séminaire s’étaient rendus à Montréal entendre Brunetière. Servant à la table des prêtres, j’entendis parler de la conférence sur Bossuet.

Mes débuts de rhétoricien me réservaient un peu de réconfort et une surprise. Pour deuxième sujet de composition, l’abbé Corbeil nous propose : La trahison de Condé. Nous sommes encore à l’époque où nul sujet n’a l’heur d’effrayer ni les maîtres ni