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premier volume 1878-1915

flés d’écume dorée, je regardais l’autre brasier, l’immense brasier du soleil descendre à l’horizon et enflammer l’érablière. Vacances du temps des semences, des labours fumants, des soleils chauds et qu’on dirait jeunes, alors que, près d’un étang, produit par la crue des eaux, repassant mes manuels d’histoire en vue du baccalauréat prochain, je taquinais la perchaude, tout en me grisant à l’approche du soir des vocalisations ensorcelantes des rainettes folles d’amour et de joie.

M. Corbeil, pauvre lui-même, allait jusqu’à m’acheter parfois des chaussures, croyant deviner d’où me venaient mes mauvais rhumes. La délicate générosité du Séminaire, j’aurai l’occasion de l’éprouver, de façon très particulière, en ma dernière année de collège. Mon beau-père désirait fort envoyer aux études classiques, son fils aîné, Charles-Auguste. Mais comment assumer les frais de pension et d’enseignement de deux collégiens ? Ne voulant pour rien au monde me mettre en travers de l’avenir de mon jeune frère, je prends une résolution subite. J’écris aux autorités de Sainte-Thérèse ; je leur mets mon sort entre les mains. Ou j’abandonnerai mes études, ou l’on voudra bien m’accepter in forma pauperis. En ce cas, je m’engagerai, par billet, à verser, à la procure, la somme de $100 après ma sortie du collège, quand la chose me sera possible. Le Séminaire me fait savoir de revenir et d’amener mon frère, sans plus m’inquiéter. Hélas, mon pauvre billet, je ne l’acquitterai que bien des années plus tard, et sans qu’on m’y ait jamais pressé.

N’eussé-je profité que de la direction spirituelle de l’abbé Sylvio Corbeil que j’aurais contracté, envers mon collège, une dette inestimable. Que n’ai-je aussi accepté la direction intellectuelle de l’abbé Antonin Nantel, maintes fois supérieur de la maison ? À plusieurs reprises, il tente de m’attirer chez lui. Il me prête des livres. C’est lui qui, en mes jeunes années, pour m’empêcher de perdre mon temps et réprimer mes débauches de liseur, me propose des travaux supplémentaires pour lesquels il me récompense généreusement. L’abbé Nantel était un saint prêtre. C’était aussi un esprit cultivé, un homme de goût qui écrivait très purement sa langue. Que de services il m’eût rendus ! Mal-