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premier volume 1878-1915

bien l’avouer, personne, pas même mon directeur, n’a réussi à me démontrer de façon décisive, la grandeur du sacerdoce, la grandeur aussi du prêtre séculier, son rôle capital dans l’Église. Je me serais peut-être fait religieux. Un moment même, après la lecture d’une vie du Père de Ravignan, la vocation de jésuite me hante quelque peu. Le clergé séculier, avec tous mes contemporains et sans qu’il y eût uniquement de notre faute, — et je ne crois pas que cette façon de juger soit tellement abandonnée, — je ne suis pas loin de le considérer comme un clergé de second ordre, un clergé bourgeois, bien incapable de répondre à mes plus chères aspirations. En ce grave épisode de ma vie, une seule chose va me sauver : la grâce d’un abandon total à la volonté de Dieu. Je ne demandais qu’à voir clair, déterminé à suivre sans sourciller la voie que m’indiquerait l’homme de Dieu. Avec une logique surnaturelle et irréfutable, l’abbé Corbeil, mon mémoire à la main, le démolit pièce par pièce. Il emporte ma conviction. Le prêtre séculier, j’avais au moins appris à le connaître et à l’estimer, sous l’espèce du prêtre-éducateur. L’abbé me fit entrevoir la possibilité pour moi de cette forme du ministère sacerdotal, soit à Sainte-Thérèse, soit au Collège naissant de Valleyfield. Dès cet instant, j’arrête ma décision. Décision froide, résolue, sans marchandage. Et, j’en rends grâce à Dieu, le calme, un calme profond, absolu, s’établit aussitôt en mon âme. Jamais plus, sur ce point de la vocation, le moindre doute ne viendra m’effleurer. « Je serai donc à Dieu et tout à lui, écrivais-je alors dans mon journal de collégien. Les perplexités de mon âme sont finies. J’ai ressenti depuis avant-hier un calme parfait, délicieux. »

Cette même grâce d’En-haut me vaudra de passer le plus naturellement du monde du Petit au Grand Séminaire. Encore dans mon journal de ce temps, au lendemain de mon entrée au Séminaire de la montagne, à Montréal, je cueille ces premières notations : « En franchissant ce seuil béni où il appelle ses futurs lévites, je n’ai demandé à Dieu qu’une grâce : celle de me rendre digne du saint habit que je porte et de l’auguste famille à laquelle j’appartiens… j’ai fait connaissance… avec les murs et les meubles de ma chambre monacale. Rien qui prête au luxe. Et pourquoi serait-elle plus riche ? Je l’aime comme cela avec sa vieille