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mes mémoires

armoire, sa couchette de fer, sa table branlante et ma petite bibliothèque où j’ai entassé quelques livres de théologie, de bible et d’histoire ecclésiastique. » Appelé au Collège de Valleyfield, avant même la fin de cette première année de soutane, j’aurai à pratiquer plus tôt que je ne l’avais espéré, le ministère de l’éducateur. Deux influences m’ont alors révélé, de façon toute particulière, les grandeurs, en même temps que les lourdes, mais joyeuses responsabilités de ma vocation. L’influence d’abord du disciple favori de mes grands hommes d’hier : l’abbé Henri Perreyve. Je lisais alors sa vie, ses lettres, quelques autres de ses écrits. Très entier en mes admirations, je me pris à l’aimer comme un frère, un inspirateur, un incomparable modèle d’âme sacerdotale. De retour au Grand Séminaire de Montréal, à l’automne de 1902 — hélas, encore pour seulement quelques mois — je prononce même, devant mes confrères, un soir d’académie, une conférence sur Perreyve, tant j’aurais voulu faire partager à tous mon enthousiasme pour le jeune disciple et ami de Lacordaire, de Montalembert, d’Ozanam, de Gratry. L’autre influence autour de moi, à Valleyfield, sera celle d’une jeunesse admirablement intelligente et exigeante, assoiffée d’idéal, d’action, de vie pleine, et qui, en son milieu collégial encore inorganique, n’hésite pas à se confier à un jeune séminariste.

En face de ces jeunes gens, l’un de mes tourments, c’est de me sentir simple « minoré », effroyablement pauvre de moyens et de pouvoirs. Je le confesse, hélas, il m’arrive de souhaiter, en dépit de ma pauvreté spirituelle, le jour de la suprême ordination. Aussi n’oublierai-je jamais la joie vive, exultante qui, ce matin du 28 juin 1903, me soulève lorsque je quitte la cathédrale de Valleyfield, portant sur ma tête et dans mes mains, l’onction tant espérée. C’était par un matin ensoleillé. Dans mon âme il y avait encore plus de soleil que sous le firmament. Grâce au Maître bien-aimé, je me sentais tout à coup muni de tous les pouvoirs sacramentels du sacerdoce, tenant à ma disposition, grandes ouvertes, les sources du fleuve de vie. Heureuse euphorie des lendemains d’ordination sacerdotale. Heureux ceux qui la gardent jusqu’à la fin de leur vie !

En ce 28 juin 1954, vigile de la fête des SS. apôtres Pierre et Paul, 51e anniversaire de mon ordination sacerdotale.