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Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/12

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mes mémoires

d’avoir dégagé notre doctrine de sa gangue… et de la mettre au rang des flambeaux qui ne s’éteignent pas.

On me pardonnera de reproduire ces mots très grandiloquents. Fait d’importance dans l’histoire de l’Action française.

Donc, à l’une des réunions du conseil de la Ligue, l’on m’apprend que j’ai été bel et bien nommé directeur de la revue. Je me cabre de tout mon haut. Certes, je ne le cacherai pas, l’œuvre me plaît grandement. En 1920, en ces lendemains de guerre où tout un ordre est à faire ou à refaire, elle me paraît non seulement opportune, mais nécessaire. Avec les collaborateurs qui se groupent autour d’elle, j’entrevois les rapides et considérables développements qu’elle pourrait prendre. Elle ne fait double emploi avec nulle autre. Elle complète, épaule les journaux indépendants tels que Le Devoir, Le Droit. À l’article forcément bref, éphémère, du journal, toujours à la remorque de l’actualité, elle pouvait ajouter l’article-dissertation, l’étude approfondie. Pour orienter les sociétés nationales, les hommes d’action, de tous côtés, on requérait une école de pensée, une doctrine. D’autre part, j’ai pris goût également à mon métier d’historien. En toute vérité il me passionne. L’Université de Montréal, enfin mise sur pied, m’a permis d’intégrer mon enseignement dans une Faculté des lettres plus consistante. Je n’ai plus seulement des auditeurs à des cours publics ; j’ai des étudiants à des cours fermés. Pour cela même, ma tâche d’écrivain d’histoire et de professeur se révèle de plus en plus à mes yeux, chaque jour, accaparante, absorbante. L’historien qui respecte son métier, ai-je toujours pensé, peut-il, en toute sécurité de conscience, faire autre chose que de l’histoire ? Mon enseignement, au surplus, prend à mes yeux, la gravité d’un devoir d’état, celui que mes supérieurs ecclésiastiques m’ont spécifiquement assigné. En ce cas, puis-je y mêler une besogne qui, tout importante qu’elle paraisse, risque de compromettre le premier de mes devoirs, devoir où hélas ! d’enthousiastes amis m’attribuent volontiers une « mission providentielle » ? Des scrupules non moins graves m’inquiétaient. L’Action française est déjà et veut être une revue d’avant-garde, sinon même de combat. Elle réclame pour sien l’entier domaine de la vie française au Canada et même en Amérique. De son champ de vision, elle n’exclut ni le problème économique, ni le social, ni même le problème politique. Sur ces terrains délicats,