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troisième volume 1920-1928

dangereux, comment échapper aux polémiques ? Et la polémique, comment la concilier avec la sérénité professionnelle de l’historien ? Prêtre par surcroît, je me vois mal en cette atmosphère de bataille, m’escrimant au surplus pour des objectifs plus temporels que spirituels, quelle qu’en soit la dignité. Un moment, pour me dérober aux instances de mes amis, je crois avoir trouvé l’objection décisive : me retrancher derrière un article de droit canonique qui veut que nul prêtre n’assume la direction d’une revue sans l’autorisation de son Ordinaire.

— Je n’accepterai rien, dis-je à mes amis, que mon Archevêque ne m’y ait autorisé. Et cette autorisation, je ne me charge point de l’aller chercher.

Mgr Bruchési, homme prudent, ne saurait jeter un de ses prêtres, j’en suis persuadé, en un poste aussi périlleux. Pour toute réponse, mes collègues prient l’un d’entre eux, Antonio Perrault, avocat de l’Archevêché et ami personnel de Mgr Bruchési, d’aller en conférer avec l’Ordinaire. Quelques jours plus tard, l’ami Perrault revient triomphant. L’Archevêque accorde son consentement.

— Allez voir l’Archevêque, me rapporte M. Perrault ; il attend votre visite.

Je me rends au palais épiscopal et pour m’entendre dire de la bouche de mon Archevêque :

— Acceptez. Je crois opportun qu’en ces entreprises d’action intellectuelle, de mes prêtres se mêlent aux laïcs.

Je n’ai plus qu’à m’incliner. En octobre 1920, je deviens directeur de L’Action française.

En ces derniers temps j’ai feuilleté les vingt volumes de la revue. Toute son histoire de 1917 à 1928. Je m’en vais commettre, sans doute, une grosse naïveté : mais quelle période bouillonnante ces petits in-12 ont ressuscitée en mon esprit ! Je dis « ressusciter », car il semble que, sur notre passé même, pauvres hommes que nous sommes, nous avons tous plus ou moins mâchonné les fleurs du lotus. Indéniablement, et je le dis sans exagération d’amour-propre, j’ai vu surgir devant moi une vie ardente, exaltante. L’Action française et le petit groupe d’hommes qui l’ont fondée et soutenue, n’ont pas tout dit, n’ont pas tout rénové.