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troisième volume 1920-1928

se fait même pas la « grande guerre ». A-t-elle au moins enregistré quelques victoires ? Oui, quelques-unes. En 1924, le parlement provincial du Québec a fini par décréter jour férié, le 24 juin, fête nationale des Canadiens français. En 1927, le ministre des Postes émet, à l’occasion du soixantenaire de la Confédération, des timbres commémoratifs bilingues : première concession qui aboutira à l’entier bilinguisme postal. Nous obtenons une victoire d’égale importance pour les timbres d’accise. La loi LaVergne a eu raison des Compagnies d’utilité publique. Les campagnes de L’Action française — point seules sans doute, mais plus persévérantes peut-être que toute autre — ont éveillé, au moins dans le monde de ses lecteurs, un sens de la dignité qui, à son tour, éveille un esprit de vigilance et même d’offensive, bien amorti, à l’heure où j’écris ces lignes, c’est-à-dire en cette fin de novembre 1954. On verra maintes gens tenir tête et refuser leur billet à des chefs de train qui ne se donnent pas la courtoisie de les demander en français. Un jour de départ pour les vacances du jour de l’an, toute une escouade de collégiens de Rigaud se paient cette crâne et amusante manifestation. Une petite carte d’avertissement distribuée dans les bureaux d’affaires est posée sur l’appareil téléphonique, avec cette consigne : « S.v.p. parlez français à la téléphoniste » ; et elle fait tapage dans les bureaux et dans les centraux de la Compagnie Bell. Les plaintes, les altercations se multipliant, l’orgueilleuse Compagnie se voit forcée de céder et d’ouvrir ses portes à je ne sais plus combien de jeunes Canadiennes françaises bilingues.

On se demandera peut-être encore une fois, quels si graves soucis, quelle mystique inspiraient, commandaient la « petite guerre » ? Pourquoi tout ce bruit, ces provocations, ce malin plaisir de déranger tant de quiétude satisfaite ? Pourquoi tout ce temps perdu au détriment des œuvres essentielles ? Beaucoup de nos pauvres gens, hélas, engourdis par la résignation mortelle, beaucoup de nos « collaborateurs » se posaient la question. Guérir notre peuple précisément de sa torpeur, l’arracher à sa résignation dans la honte, aura été, je ne crains pas de l’avouer, l’un des premiers mobiles de la « petite guerre ». Ce sont les nôtres que tout d’abord nous voulions secouer, réveiller. La misère était profonde. Dans L’Action française (XVIII : 202), je lis ce bas de page de Jacques Brassier :