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troisième volume 1920-1928

fallait commencer, ai-je dit, par un énoncé de doctrine. Et cette doctrine, il fallait, avant tout, la concevoir, l’articuler en saine logique, la réduire, coûte que coûte, à quelques formules prenantes, décisives. C’est par là, je le constate, que je ne tarde pas à débuter.

Me permettra-t-on pourtant d’ouvrir une parenthèse ? La part éminente faite à la langue par la Ligue pouvait être, à certains égards, parfaitement légitime et défendable. La langue, c’est, en somme, pour les Canadiens français, la caractéristique principale qui les distingue de leurs voisins ; c’est l’élément notable de leur avoir culturel, l’instrument de transmission par quoi il leur est loisible de s’abreuver à la culture de France. Les ligueurs affirmaient donc un noble souci de culture. On en pourrait dire autant de l’importance démesurée accordée par les hommes de leur temps aux dimensions sûrement trop étroites du facteur politique. Ce serait, en effet, ne rien comprendre à l’esprit politique des Canadiens français de jadis, si l’on ne tenait compte d’un fait historique long de plus de cent ans. De 1760 à 1867, ils n’ont pu concevoir leur collectivité ou nationalité comme une nation-État, possédant cette clé de voûte, cet organisme capital qu’eût été pour eux un gouvernement dont ils auraient été les maîtres. En politique, leur nationalité, c’est un parti. Papineau, La Fontaine, même Cartier ont été, à vrai dire, chefs de parti autant que chefs nationaux. Nationalité et parti se sont ainsi confondus pendant un siècle. L’historien pourrait expliquer par là la survivance entêtée de l’esprit de parti parmi les Canadiens français, et, de même, la sorte de primauté longtemps accordée par eux à l’action politique : autre perversion du problème national. Il ne faudrait pas oublier, non plus, qu’au Canada français, le chef politique depuis 1867 est rarement un chef national. Ma génération n’a guère compté sur le facteur politique, parce qu’il n’y avait pas à compter sur lui. On ne faisait que de la politique de parti. On avait presque horreur de toute politique nationale ou nationaliste. Nos politiques d’après 1867, à l’exception de Mercier, n’ont rien compris à l’Acte confédératif ni aux conséquences qu’ils en eussent pu et dû tirer. Oser parler d’État français dans le Québec, c’était la pire des hérésies politiques.