Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
mes mémoires

batailleurs réussissent ou les intrigants très souples. Un type tranquille et qui veut travailler paisiblement aurait besoin d’une troupe d’anges pour lui concilier les ennemis qu’on lui crée, les amis que l’on tourne contre lui, pour enlever les obstacles et les embarras qu’on accumule sur sa route, pour refaire en arrière de lui sa réputation que l’on défait… Alors n’espérez rien de moi : dans ce tumulte je réussis à peine à vivre, et d’une façon pas bien brillante… Ce n’est pas amusant de vivre une telle existence et de voir le temps s’écouler en misérables petites misères odieuses. Mais huit années d’expérience m’ont convaincu qu’il n’y a pas grand’chose à y faire. Pour ma part, l’espérance est bien morte.

Était-ce le découragement absolu, définitif ? Dans cette même lettre, Desrosiers me parle d’une possible « permutation aux Archives », pour le cas où M. Doughty démissionnerait de son poste et que le successeur lui serait connu. Mais il se refuse à tenter lui-même toute démarche en ce sens, surtout point auprès des hauts fonctionnaires des Archives. Il me raconte, entre autres, ce petit incident :

On ne se bat pas avec des gants dans notre capitale. Ainsi un plan de livre que j’avais soumis à un haut officier des Archives pour le cas où j’y entrerais, s’est trouvé exécuté, deux ans après, mais pas par moi… Que voulez-vous faire alors ?

Il y avait autre chose. C’est vers cette même époque que je rencontrais Desrosiers dans le train Montréal-Ottawa. Je l’entretenais de mon espoir de le voir venir un jour totalement à l’Histoire et bien installé aux Archives de la capitale.

— Que ne faites-vous intervenir, en votre faveur, lui disais-je, quelques-uns de vos protecteurs ? Vous en avez de puissants qui vous ont fait parvenir, vous, nationaliste, à la traduction aux débats. Ne pourraient-ils vous ouvrir les portes des Archives ? Il me répondit de son ton le plus las :

— Ah, si vous saviez à quel esclavage on se condamne quand on sollicite et obtient des faveurs de ces puissants ! Ce sont leurs discours, leurs conférences, etc., qu’il faut leur composer, écrire pour eux de A à Z !…

Je saisis la réflexion au bond :