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mes mémoires

par-dessus tout, ferme croyant et pratiquant, presque ultramontain, en opposition radicale aux attitudes philosophiques et religieuses de son grand-père Papineau. Qualités, titres séduisants, par lesquels la jeunesse justifiait, envers l’homme qui montait, l’allégeance de ses plus hauts sentiments. Sans grand évêque ou grand homme d’Église à qui alors donner notre admiration, les jeunes clercs que nous étions suivaient peut-être plus qu’il ne fallait l’entraînement général. Que ceux qui n’ont pas connu notre misère s’étonnent de notre emballement ! À Rome, au Collège canadien, le nom de Bourassa, ses discours, ses gestes, ses campagnes d’idées ou d’éducation populaire alimentaient libéralement nos conversations. L’on n’aime jamais tant son pays qu’éloigné de lui. Les nationalistes, Bourassa et LaVergne en tête, venaient d’opérer leur entrée dans l’arène de la politique provinciale. Ils se rapprochaient de nous, de nos problèmes, de nos rêves, de nos espérances. C’est deviner, avec quel émoi, les collégiens de Rome, pourtant si loin, vont apprendre l’élection de Bellechasse et la défaite cinglante de Bourassa. C’est dire aussi, avec quels joie et réconfort, ils apprendront en juin 1908 la double victoire de Bourassa dans Saint-Hyacinthe et Saint-Jacques, revanche de Bellechasse. À l’automne de 1908, de retour de Bretagne et en route pour Fribourg, je rencontre à Paris Omer Héroux. Il vient de perdre sa première femme, Mlle Tardivel. Il est en voyage de repos. Ensemble, nous causons abondamment du pays dont je suis éloigné depuis deux ans. Tant de choses se sont passées en ces années d’activité fiévreuse. Héroux, alors rédacteur à L’Action sociale de Québec, mais ancien de l’ACJC et très mêlé aux milieux nationalistes, m’entretient naturellement de Bourassa dont il est fervent admirateur. Avec ce don merveilleux qui lui permet de dramatiser les événements, il me parle de l’homme. Sa puissance oratoire surtout l’éblouit. Un jour, je me souviens, il me pose cette question :

— Avez-vous entendu Bourassa en assemblée contradictoire ?

— Non évidemment, lui dis-je ; les assemblées politiques sont interdites aux ecclésiastiques.

Héroux reprend :

— Alors vous ne le connaissez pas.