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Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/213

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quatrième volume 1920-1928

Turc. Un ami commun à Bourassa et à moi, Edmond Hurtubise, me renseigne exactement. Edmond Hurtubise, président de l’administration du Devoir, et resté dans les bonnes grâces du maître, me rapporte en particulier l’un de ses propos coutumiers à mon sujet : « Va-t-on le faire taire, celui-là ? Va-t-on le renvoyer dans le ministère ? » Comme si je n’eusse dépendu tout d’abord de mes chefs ecclésiastiques, et comme si le poste que j’occupais ne m’eût été assigné par eux ! D’extravagance en extravagance, il en viendra presque à renier ses anciennes thèses sur les droits des minorités et sur les revendications canadiennes-françaises à Ottawa. Il n’est plus question de droits égaux pour les siens. Ou s’il y croit encore théoriquement, en pratique, il émet des propositions qui vont à l’encontre de cette égalité juridique et politique. Certaines de ses dénonciations donneraient même à penser parfois qu’il tient ses compatriotes responsables de la lutte des races au Canada. À tout le moins leur rabâche-t-il qu’aucune revendication ou agitation ne doit compromettre l’unité canadienne, non plus que l’unité ou la paix de l’Église : ce qui était donner beau jeu au fanatisme anglo-canadien, prosélyte de l’unilinguisme officiel et scolaire, au nom précisément de la loi de fer de l’impérialisme anglo-saxon : un seul roi, une seule loi, une seule foi ; et ce qui n’était pas moins stimuler l’ambition désordonnée d’une poignée d’Irlandais affamée de sièges épiscopaux et hostile au droit minoritaire, à l’école séparée, et voire à la survivance canadienne-française, et tout cela, selon la thèse de l’archevêque Bourne, au nom des suprêmes intérêts de l’Église.

À ce point de mes souvenirs et de mon analyse de l’évolution de Bourassa, je ne puis m’empêcher de me reposer cette question : par quelle aberration un homme si intelligent et si passionné de justice en était-il venu à considérer les siens, et surtout les spoliés des minorités, comme des brandons de discorde, et même des fauteurs de désordres en leur pays et dans l’Église ?

Surtout, comment en arrivera-t-il à écrire, dans Le Devoir, les cinq articles du 15 au 19 janvier 1929 contre les « Sentinel-