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réagit, y mettant parfois un peu de rudesse ; elle malmène joyeusement les entrepreneurs de pompes funèbres. Mais il faut l’oser dire : le premier responsable de cette nouvelle poussée de nationalisme au Canada français, c’est le Bourassa de 1922, l’homme qui a saccagé l’idéal d’une génération.
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Devant la fin de cet homme, comment nous défendre d’une infinie tristesse ? Il est encore par trop intelligent pour refuser de convenir qu’en l’environnement effroyable où nous vivons, un groupe ethnique aussi faible que le nôtre ne saurait subsister sans défendre constamment son âme, sans un patriotisme perpétuellement actif, inquiet, sans faire en un mot ce que l’on est convenu d’appeler du nationalisme, du sain, du légitime nationalisme. Il doit savoir aussi bien que si le catholicisme, au nom de la primauté du spirituel, impose une hiérarchie de devoirs, il ne commande la négligence, encore moins le mépris d’aucun. Cependant c’est cette velléité de défense, c’est le premier sursaut de ce nationalisme que M. Bourassa sent le besoin de rabrouer. Au moment où notre peuple tente de remonter à la surface, il trouve élégant de lui assener le coup de botte qui le renvoie au fond de l’abîme. À moins d’avoir perdu tout son ancien discernement, qui fut grand, il ne peut pas, non plus, ne pas se rendre compte que jamais peut-être, à aucune période de leur histoire, ses compatriotes ne se sont révélés d’un moral aussi bas. Jamais le défaitisme ne les avait tant envahis. Et pourtant, c’est ce peuple sans fierté qu’il met en garde contre l’orgueil de race ; c’est ce peuple sans conscience nationale qu’il accuse de nationalisme outrancier. Parce que lasse de se sentir à la bouche un goût de cendre, une jeunesse esquisse, parmi nous, le premier signe du réveil, l’ancien chef est là pour lui crier : Pas ça ! ça pourrait être un péché ! Mais cette invite à dormir sous le mancenillier et ce grand souci de monter la garde autour de notre sommeil pour l’empêcher de finir ; ou cette invite encore aux Canadiens français à vivre toujours petitement leur vie, en bons moutons qui se laissent tondre sans crier, qui ne dérangent pas la sieste des autres, même si les autres viennent raser tout leur pré, cette politique, nous croyons savoir d’où elle vient. Un grand politicien qui fut un temps le chef de M. Bourassa, nous l’a jadis prêchée. Brouillé avec lui, et pour démontrer l’influence extraordinaire et pernicieuse de son an-