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quatrième volume 1920-1928

jusqu’à l’universel ? Atteindre en son fond l’homme d’un pays, d’une race, d’un temps, c’est toujours atteindre le tuf humain, c’est dépasser le transitoire et le particulier. Non, le régionalisme, tel que nous l’entendons, n’est pas responsable de la médiocrité de la littérature canadienne-française. Et l’on ne voit pas ce qu’en ces derniers temps, ont gagné nos écrivains et nos artistes à s’efforcer de n’être ni eux-mêmes ni de chez eux : aliénation stupide qui d’ailleurs ne se pratique qu’au Canada français. Le moins que l’on puisse dire des œuvres de la nouvelle génération, à peu d’exceptions près, ne serait-ce point qu’elles manquent affreusement d’originalité, d’âme, de vie ? Temples désaffectés qu’on ne sait à qui dédier si ce n’est au dieu inconnu. Et quel dieu accepterait d’y laisser afficher son nom ?

Le problème économique

Cet autre problème, la jeunesse d’aujourd’hui croit l’avoir découvert. Que n’a-t-elle point découvert, sans compter l’Amérique ? Pourtant, ai-je déjà dit, L’Action française en eut l’obsession, je pourrais presque dire l’angoisse. Peu de livraisons de la revue où elle n’y revienne avec l’insistance d’un leitmotiv. Cette conviction entra tôt dans mon esprit qu’un peuple se flatte vainement d’autonomie politique qui ne possède une certaine autonomie économique. De même, me semblait-il, une culture nationale ne pouvait longtemps s’accommoder d’un régime qui, pour son gagne-pain, fait d’un peuple un serf de l’étranger. Une économie bâtie de travers, avais-je aussi coutume de répéter, ne peut qu’aboutir à une vie collective bâtie elle-même de travers. D’autres notes éparses, dans la revue aussi bien qu’en des articles élaborés, s’inspirent sans ambages de deux ambitions : libérer le Québec de l’assujettissement économique ; et, à cette fin, instruire le peuple, lui enseigner les voies de la libération. Le capitalisme américain, en particulier, avec quelle vigueur on s’appliquera à en signaler les dangereux envahissements. Eh oui, déjà et bien avant les alarmes actuelles de nos gouvernants d’Ottawa, et dans un temps où les alarmistes que nous étions se voyaient accusés de fougue révolutionnaire et de foi naïve au croque-mitaine ! Un mot d’ordre de 1923 porte ce