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Page:Groulx - Mes mémoires tome II, 1971.djvu/388

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mes mémoires

Revue ne vivra pas, croyez-moi, et peut-être que toutes les œuvres greffées dessus s’écrouleront pareillement. J’eusse aimé mieux la voir mourir subitement que traîner une existence déchue. Pour ma part, et si peu que vaille ma prose, je la respecte encore assez pour ne la pas donner plus longtemps à une œuvre qui a perdu son cachet de noblesse désintéressée et sa haute tenue intellectuelle.

Henri d’Arles se montrait malheureusement bon prophète. Lévesque connut quelques heures de succès. Sa librairie, ses éditions fonctionnèrent quelque temps. Il imprima encore quelques-uns de mes livres, notamment L’Enseignement français au Canada. Puis, il perdit peu à peu sa clientèle. Les vieux amis firent le vide autour de lui. Il finit dans une faillite. En retour d’une modeste royauté, j’avais abandonné à l’Action française presque tous mes livres. L’heure venue de la reddition des comptes, la firme Lévesque me devait $1,200. Je dus composer pour $700.

Jugement sur l’œuvre

L’Action française avait vécu. Que resterait-il de cette action souvent fébrile, épuisante ? Avais-je perdu dix ans de ma vie ? Celui qui accepte pour les siens un poste de guet, d’éveilleur ou d’éclaireur, si modeste ce poste soit-il, accepte volontairement un poste d’isolé et d’incompris. On lui dira bien parfois qu’il fait œuvre utile, même nécessaire. On lui chantera qu’il a vu juste, frappé au bon endroit, qu’il a semé en bonne terre. Qu’en est-il et qu’en sait-il véritablement ? Penché sur sa tâche, absorbé par elle, il jette ses idées, ses appels, ses cris parfois, dans l’espace et dans le vent. Saura-t-il jamais où sa voix a porté, combien d’esprits le sien aura pu atteindre, secouer, redresser, en combien il aura allumé la flamme de l’action ?

Poste de guetteur, poste de gardien de phare. Enfant, le soir de pêche sur les rives du lac des Deux-Montagnes, que de fois, en mon petit pays, mes yeux se sont rivés sur l’un de ces feux, phare isolé de l’Île-Cadieux, dressé sur une pointe avancée de l’île, en plein centre du lac. Feu mystérieux qui me tirait à lui, éveillait en moi mes premiers songes. Depuis, j’ai rêvé souvent