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cinquième volume 1926-1931

draient son renvoi : « Entendu, me répond-il, au bout de deux ans, il sera brûlé ; vos évêques n’auront qu’à le remplacer. » M. le vicomte de Fontenay nous reproche, en deuxième lieu, de faire ou de laisser édifier contre nous de fausses statistiques, et par exemple, de laisser compter parmi les catholiques anglophones, tous ceux qui ne sont pas de nationalité française. Il nous reproche enfin, ou plutôt il reproche à nos évêques — nous sommes toujours en 1931 — de passer trop rapidement à Rome, « comme des bolides », me dit-il ; une visite au Pape, une autre au secrétaire d’État, une troisième aux Catacombes, et l’on se rembarque pour le Canada. Vos évêques laissent parfois un mémoire. Mais ce n’est point par des mémoires — mémoires qu’on ne lit pas ou qu’on laisse à de petits secrétaires de Congrégations de résumer — qu’on fait de la diplomatie à Rome. La diplomatie se fait par des prises de contact, des conversations, au besoin par des dîners, entre la poire et le fromage. Des séjours plus prolongés de vos chefs religieux s’imposent d’autant plus que les évêques et archevêques irlandais étant aussi nombreux, sinon plus nombreux que les vôtres, et séjournant à Rome plus longtemps, y exercent une influence autrement plus considérable. M. l’ambassadeur ajoute même, non sans un gros grain de malice : « Si vous envoyiez vos servants de messe à Rome, ils y auraient autant d’influence que vos évêques. Mettez-vous bien encore dans la tête, ajoute M. le Vicomte, que les Knights of Columbus sont tout-puissants à Rome. Ils y dépensent des sommes considérables. Et ils savent où les dépenser. L’un de leurs hommes fut, pendant dix ans, installé à la Consistoriale ; un autre, un prélat irlando-américain, occupe un poste à la Secrétairerie d’État et a été constitué le distributeur des fonds des Knights of Columbus. Au surplus, ne vous faites pas illusion sur l’esprit qui règne ici. L’on sait peu de choses de votre évolution politique. D’où la préoccupation inévitable de conduire les affaires de l’Église canadienne de façon à plaire à l’influence anglaise en votre pays, et même de plaire à l’Angleterre ou à l’influence britannique. Donc, conclut M. le vicomte de Fontenay, vous apercevez où en sont à Rome les affaires de votre Église et de vos compatriotes. Il vous faut changer absolument vos méthodes de défense. Ou dans vingt-cinq ans, vous êtes perdus ici. »