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cinquième volume 1926-1931

Dans son article à la Liberté de Fribourg[NdÉ 1], Serge Barrault se permettait une assez longue analyse de mes ouvrages d’histoire alors parus, pour finir avec Le Français au Canada où il lui plaisait de voir une suite à La Naissance d’une Race. Les conférences de Paris avaient, en outre, de quoi intéresser tout particulièrement ce professeur de la Suisse française. Après la citation d’une phrase de mon volume : « La politique vitale du Canada français est une politique scolaire », Barrault écrivait : « Mais la question de l’école n’est pas grave seulement au Canada. L’État de Fribourg, avec raison, apporte aux questions scolaires le soin le plus vigilant, et il a le droit de se féliciter, par exemple, pour ce corps admirable d’instituteurs qu’il possède. C’est dire que, aux esprits de tout pays, le livre de M. Lionel Groulx propose une leçon intéressante. »

L’état de drame où vit un petit pays français tel que la Suisse romande, si cernée, si pressée par d’autres et opulentes cultures, avait aidé Serge Barrault à comprendre la situation dramatique du Canada français. Et c’est pourquoi, sans doute, de la dernière page de mon livre, ce catholique avait surtout cité en fin de son propre article ce souvenir qui m’était revenu d’une soirée inoubliable au Canada :

La langue, la culture de France, nous n’avons cessé de professer pour elles une sorte de culte. En 1910, au dernier soir du célèbre congrès eucharistique de Montréal, un million de personnes se trouvaient réunies devant le reposoir au pied du Mont-Royal ; tourné vers l’immense foule et s’adressant à l’ostensoir flamboyant, l’archevêque de Montréal commença d’appeler les bénédictions de Dieu : l’une après l’autre, il évoqua les nations catholiques, tous les intérêts spirituels du monde ; puis, de sa voix claire, il laissa tomber cette invocation : « Bénissez la langue française. »

La langue et la foi, et l’une et l’autre mêlées dans une sorte d’union mystique ! Ces mots, ce geste de l’évêque révèlent toute la loi, tout le ressort de notre vie. Et cette loi, ce ressort, je cherche encore la force souveraine qui les pourrait briser.

Dans cette propagande autour du Français au Canada, je retrouve encore, on n’en sera pas étonné, le zèle, l’amitié chaleu-

  1. (21 avril 1932).