Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
mes mémoires

langue pure une petite Acadienne du Grand-Coteau, une autre du village de Scott, une autre encore de Pont-Breaux, habillées celles-ci en Évangélines, nous souhaitèrent la bienvenue !

Le miracle est grand et touchant si l’on songe que la langue maternelle s’est conservée ainsi à peu près sans écoles, sans journaux, par la seule tradition orale de la famille, aidée quelquefois de la prédication dominicale. Et quelle vigoureuse individualité ethnique la France du XVIIe siècle avait donc léguée à ses colons des terres américaines pour que seuls ou à peu près ils aient résisté à l’enveloppement anglo-saxon ? Ce qui a duré si longtemps et en de telles conditions a toutes les chances de persister. C’est la conviction que tous nous emportons de notre course en Louisiane. Il suffirait de quelques animateurs pour ressaisir ce petit peuple et, sans lui rien enlever de son patriotisme américain, l’attacher indéfectiblement à son particularisme ethnique. Puisque les grandes cultures intellectuelles ne sauraient s’ignorer l’une l’autre, un gouvernement sage s’appliquerait à maintenir en Louisiane les traditions de la culture française. Cette population, pour qui le français est le parler maternel, lui fournirait, pour tous les pays où l’on entend le français, ses agents diplomatiques et commerciaux ; pour ses universités, ses collegiates, ses high schools, il y recruterait ses équipes de professeurs, assuré de trouver là un sens de la langue française et une aptitude à la parler où ne sauraient atteindre les étrangers.

À défaut de ce souci intelligent des autorités politiques, d’autres, et non des moindres, ont aperçu les étroites relations qui, en Louisiane comme ailleurs, lient la langue et la foi. Il ne leur échappe point que le français a sauvé la foi catholique en ce pays, et non seulement chez les créoles d’origine française ou acadienne, mais encore chez les Noirs qui, par la langue, se sauvèrent des prises des prédicants de leur race presque toujours anglophones.

Qui sait ce que réserve l’avenir ? Que par le bouclier de la langue, la foi des Français et des Acadiens louisianais soit préservée, et alors de ce petit peuple de condition paysanne et de mœurs pastorales, magnifique réservoir d’énergies chrétiennes à peu près inutilisé jusqu’ici, quel bouillonnement spirituel ne pas attendre, le jour où l’esprit apostolique le viendrait agiter !

Lionel Groulx, ptre

Le Devoir, 25 avril 1931.