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cinquième volume 1926-1931

Mais ce qui ne se saurait exprimer, c’est le charme de réceptions plus intimes en de petits villages, tels que Léonville, Scott, Mamou ; c’est la joie de ces braves populations venues à la rencontre de frères acadiens après 175 ans de séparation. Partout éclatent les mêmes acclamations. Pendant que nous défilons à travers le flot populaire, les mains se tendent, chaudes, étreignantes ; on dit son nom, fier de se proclamer de la famille ; des jeunes filles gracieuses nous épinglent des fleurs ; nos revers d’habits se fleurissent comme des parterres. Des fleurs, on nous en jette à la brassée ; on nous guette aux carrefours des chemins ; on arrête les autos pour offrir, et avec quelle joie, des gerbes de roses. Pour ajouter à tant d’amabilités, les fanfares jouent avec entrain l’Ô Canada. À Napoléonville, c’est la foule entière qui chante l’hymne canadien. En d’autres endroits, des chœurs d’enfants nous font la surprise de nous chanter nos chansons canadiennes. Qu’ajouterai-je ? Nous ne sommes point le visiteur de passage, mais le parent très proche pour qui l’on fait assaut de cordialité. Après la grande réunion de Saint-Martinville, où l’on était venu de partout et où la curiosité avait pu se satisfaire, il y avait lieu de prévoir, pour les réceptions du lendemain, une diminution d’enthousiasme. Il n’en fut rien. Mêmes transports de joie à Jeannerette, à Houma, à Napoléonville, à Thibodeaux, où l’on nous accueille comme si la fête ne durait pas depuis cinq jours. Les plus âgés des voyageurs de L’Évangéline et du Devoir devront remonter jusqu’au congrès de la langue française en 1912 pour retrouver en leurs souvenirs une pareille semaine d’enivrement patriotique.

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En 1803 le préfet colonial, Pierre de Laussat, envoyé en Louisiane par Napoléon, écrivait : « Je n’ai trouvé que des cœurs français. » Cette parole, les voyageurs canadiens et acadiens de 1931 l’ont pu reprendre avec autant d’à-propos. Le caractère des réceptions qu’on nous a prodiguées ne s’explique que par la survivance du sentiment français en pays louisianais. La voix du sang et rien qu’elle a pu provoquer cette exaltation des cœurs. Partout d’ailleurs nous avons parlé français et l’on nous a compris. Si quelquefois la bienvenue nous est adressée en anglais, il est rare que l’on n’y joigne pas quelques mots de français. Ce français, nous le voulons bien, en prend parfois à son aise avec la langue académique, la stricte orthodoxie grammaticale. Mais quelle saveur le plus souvent dans la prononciation ! En quelle