Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
mes mémoires

centrer sur mes travaux d’histoire. Oh ! ma retraite de la rue Saint-Hubert ne sera pas la tour d’ivoire imperméable à toute infiltration des importuns. Je note ici et là quelques sorties de l’ermite. On ne s’arrache pas d’un seul jour, d’un seul effort à la vie d’action. Dans un petit pays comme le nôtre où toutes les bonnes volontés sont largement mises à contribution, on n’écarte pas d’un seul coup les quémandeurs d’articles, de discours, de conférences, de présidences d’honneur, de préfaces, ces horreurs de ma vie ! Hélas, au bout du fil, qu’ils me feront souvent crisper les nerfs, le Monsieur ou la Madame impitoyablement tenaces, qui se sont bien juré d’emporter le morceau ! Que j’aurai connu la tension nerveuse du pauvre homme excédé de besogne, qui tente d’échapper aux enveloppements de la pieuvre ! Vous vous défendez ; vous argumentez ; vous croyez, vous aussi, emporter le mot de la fin ? Non, rien n’est fini, tout recommence. Refusez-vous la conférence, on vous propose une simple causerie, ou encore une toute petite « présidence d’honneur, sans discours,… à moins que… » Déclinez-vous la préface ? On se contentera d’un bout de lettre. Et l’insistance se fait plus pressante, plus énervante ; et ça peut durer un quart d’heure, une demi-heure… Que voulez-vous ? La mauvaise habitude de dire oui, toujours oui, ne prépare pas tellement à dire non. Mes énergiques résolutions ne m’empêcheront pas malheureusement de succomber de temps à autre. Je vois, par exemple, que le 20 décembre 1926, je souhaite la bienvenue à nos compatriotes de l’Ouest qui accomplissent dans le Québec leur voyage de « Survivance française ». Je retrouve mon allocution dans Le Devoir du lendemain. Elle est bien de ce temps-là. Et c’est pourquoi j’en recueille quelques parties. Nous sommes encore à l’époque où tous croient fermement en la survivance de ces groupes lointains. Je ne leur ménage pas les compliments :

Dans cette mêlée des races où grandissent les jeunes provinces, vous n’êtes ni les groupes les plus riches ni les plus nombreux. Mais pendant qu’autour de vous, éblouis, hypnotisés par le prestige de la race impériale, les immigrants de toutes les nations d’Europe cèdent à l’assimilation avec une sorte de vertige joyeux… vous, fils du petit pays de Québec, vous gardez l’héri-