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cinquième volume 1926-1931

Pendant les trois ans de son séjour à Rome et à Fribourg, le petit professeur de Valleyfield n’en vit pas moins régulièrement arriver les chèques qui soldaient tous ses frais de voyage et d’études, et qui, par surcroît, le fournissaient d’intentions de messes privilégiées.
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En 1911, l’abbé Émery était nommé curé dans la partie française du diocèse de London, à Paincourt. Le problème national lui fut révélé. À Kinkora, au milieu d’une petite population anglophone, cernée de protestants, il avait aperçu le péril des mariages mixtes pour la foi. Dans la péninsule d’Essex, pays de son enfance, il retrouvait un petit peuple de vieille formation française qui devait à la survivance de sa langue le meilleur bouclier de sa foi. En même temps, il apercevait la condition périlleuse de cet îlot français, population agricole travaillée de la hantise des villes, en proie à la formidable succion de la puissance américaine, empoisonnée chaque jour par les miasmes que charrie le vent au-dessus du mince détroit.

Un peu comme tous les confrères de là-bas, il avait noté, avec chagrin, l’indifférence nationale, et par conséquent l’âme facilement dégarnie de l’ouvrier et du campagnard canadien-français venus, hélas ! de la province de Québec. Persuadé, d’autre part, qu’un peuple ne s’attache à ses origines que si on lui en révèle la noblesse, il s’appliqua à fortifier la vie française de ses gens. Il surveilla de près ses écoles. Il voulut même s’appliquer patiemment à l’histoire de son petit coin de terre. De ces études devait sortir, en 1925, l’Album-Souvenir de la paroisse de l’Immaculée-Conception de Paincourt, Ontario, qui dépasse de beaucoup la monographie paroissiale. C’est presque une histoire de la péninsule de l’Essex ; et c’est, par-dessus tout, une œuvre d’éducation patriotique. Sous le titre « Choses du passé », l’historien a rappelé les coutumes, les mœurs anciennes de sa région ; et, pour en faire savourer davantage le charme prenant, il a joint la photographie, la gravure, à la description écrite : ce qui fait, en réalité, de cette partie du volume, un précieux album d’antiquités canadiennes.

On devine l’émotion du curé patriote lorsqu’éclata dans l’Ontario français la querelle des écoles bilingues. Une effroyable tempête menaçait de jeter à bas ce qui lui apparaissait comme l’indispensable rempart de la foi des siens. Canadien de très