Il y a quelque deux ans, il lui fallut prendre le chemin de l’hôpital. Il vient d’y mourir, après avoir passé de longs mois à subir un long martyre, incapable de rien, d’aucun acte sacerdotal, réduit à faire, de sa maladie et de sa mort, sa dernière messe. Dieu seul aura pu savoir ce que lui ont pesé cette inaction douloureuse et cette lente dissolution de ses forces. Devant ses regards de mourant tant de rêves inachevés ont dû passer ! Je me rappelle les inquiétudes qu’il me confia, la dernière fois que je le vis, sur l’avenir de son petit pays. L’épreuve l’avait rendu pessimiste. Il avait d’ailleurs perpétuellement sous les yeux le caravansérail de Détroit et tout l’État du Michigan, ces vastes tombeaux de la race canadienne-française. Il se rappelait que, vers 1890, vivaient, en cet État voisin, pas moins de 140,000 Canadiens français ; que, depuis lors, et surtout en ces derniers temps, l’émigration n’avait pas cessé de jeter là le flot de ses compatriotes, et qu’aujourd’hui à peine en eût-il trouvé 10,000 avec quelque volonté de survivre.
Pour la péninsule d’Essex, il n’entrevoyait donc de survivance catholique et française que par une puissante organisation nationale et religieuse, laquelle, au moyen de petites et de hautes écoles, et par tout un réseau d’institutions intellectuelles, économiques et sociales, ressaisirait ces populations, les attacherait à leur terre et à leurs traditions, en ferait d’abord pour elles-mêmes un bloc inassimilable, sur lequel, au besoin, viendrait s’appuyer le groupe si isolé des Canadiens de Détroit. Mais, toutes ces choses, il ne les entrevoyait possibles que par l’action d’un puissant animateur qui serait un grand homme d’Église. « Autrement, disait-il, et pour peu que notre glissement actuel continue, — et je vois encore la mélancolie dont ses yeux se voilaient — dans cinquante ans, il n’y aura plus guère, dans Essex, que de rares vestiges de vie française et de catholicisme. »