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sixième volume 1931-1939

rue Saint-Hubert, la circulation allait croissante, le va-et-vient des camions, des autos et autobus dans la côte, empoisonnait l’atmosphère et y faisait un bruit assourdissant. Pour comble, mon petit oratoire, de l’autre côté de la rue, venait de se fermer. Les Sœurs Dominicaines avaient émigré vers leurs Pères de Notre-Dame-de-Grâce. Sur ce, une parente de mon frère Auguste m’offrit un second étage au 847 de la rue Sherbrooke : rue de Montréal naguère encore bordée de résidences de la grosse bourgeoisie, mais qui se garnissait rapidement de maisons de rapport. Au 847 j’occuperai le deuxième étage du « Saint-Louis », propriété peu d’années auparavant d’un monsieur Préfontaine, ancien maire de Montréal, et je crois, ancien ministre de la Marine canadienne. L’étage était vaste ; j’y pourrais installer plus commodément ma bibliothèque toujours envahissante. Surtout, pour une fois, j’aurais un cabinet de travail confortablement éclairé. Un balcon donnait sur la rue ; ma mère aurait tout le loisir de s’y transporter et d’y prendre air et soleil. Au mois de mai 1932, me voici donc sur la rue Sherbrooke, partie est. Détail à ne pas oublier : j’habite aux côtés du siège social de la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Les petites Sœurs de Notre-Dame du Bon-Conseil tiennent là le secrétariat. Depuis quelque temps déjà, j’allais dire ma messe à la chapelle de la Fédération. Une fois de plus un oratoire s’offre donc à ma portée. J’y pourrai dire commodément ma messe, aller faire ma visite quotidienne au Saint-Sacrement. Rien qu’un escalier à descendre et un autre à remonter. Les circonstances voudront, du reste, que je devienne une sorte d’aumônier officieux de la Fédération. Bref, cette demeure de la rue Sherbrooke m’a laissé les plus agréables souvenirs. J’aurai vécu là les années les plus chargées peut-être de ma vie. Que j’y aurai barbouillé de papier ! Que de discours, conférences, etc., j’y aurai médités ! Isolé au bout de la maison, mon cabinet m’enferme dans le profond silence. Et j’aperçois toujours ce pan de ciel bleu, au-dessus de la basse ville, vers quoi se tournent, pour reprendre vigueur, mes yeux et ma tête fatigués.