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mes mémoires

compte moins sur ses forces que sur son cœur, emporté par la fièvre ou plutôt l’illusion de servir autant que l’on se dévoue ! Tant et tant se surmènera mon débile organisme qu’à la fin un crac, une fatigue soudaine me forcera encore à un repos relatif de près de six mois.

Ainsi aperçois-je la période qu’en ce volume je souhaiterais raconter. Dans ma petite vie, on le verra, elle représente un point culminant. Peut-être aussi y trouvera-t-on, dans la mesure où les circonstances m’y ont mêlé, sinon le tableau, du moins quelques traits de cette décennie active et tourmentée qui s’appelle en notre histoire, la période du « grand chômage ». Et ma part en ce tableau, ajouterais-je que je ne la décris point par vaine complaisance ? C’est qu’elle me devait conduire à un point critique qui allait dangereusement influer sur l’orientation de la jeunesse de ce temps-là. Comment cette jeunesse en arriva-t-elle à me croire investi d’une certaine mission : mission qui me dépassait et que je n’ai jamais ambitionnée dans ma vie ? D’une part, l’attente un peu folle, trop généreuse, en tout cas, d’une génération ; de mon côté, le sentiment de mon impuissance à satisfaire de trop extravagantes illusions, puis la prescience des déceptions profondes que tout mon travail finirait par semer autour de moi. Comment ce drame s’est-il préparé ? Quels en ont été les responsables ? J’ai cru que pour éclairer, expliquer une courbe malheureuse en l’histoire de ma génération, je me devais de l’écrire. Je m’excuse d’avance de l’emploi du je et du moi que je pousserai jusqu’à l’abus. S’il existait un autre moyen de parler de soi et des événements où l’on fut mêlé, ce moyen, on peut le croire, je l’aurais employé.

Rue Sherbrooke

Puisque j’en suis aux choses intimes, pourquoi ne pas noter mon déménagement rue Sherbrooke, au no 847 est. Depuis quatre ans j’habitais la côte de la rue Saint-Hubert, no 2098. Deuxième domicile, notable amélioration sur le premier. Par l’arrière, j’avais plus de lumière et de soleil qu’au 3716, mais mon cabinet de travail, avec son encoignure de demi-tourelle et qui donnait sur la rue, n’en restait pas moins noir et froid. Au surplus, sur la