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ponsabilités intellectuelles, sur celles de la jeunesse estudiantine, sur nos positions historiques et constitutionnelles, sur notre avenir en Amérique. Que dire de l’à-propos de ces Orientations ? Ceux qui ont vécu cette période de 1930 à 1939 apprirent jusqu’à quel point les temps troublés suscitent les réformateurs, les guérisseurs à bon marché, les charlatans pour tous maux connus et inconnus. Vers 1932 ou 1933, une véritable prolifération se produisit de ces pauvres bougres, marchands d’antidotes, de recettes qui, avec un air inspiré, vous apportaient leurs projets de libération, de docteurs guérit-tout, parfois même projets de constitutions politiques largement élaborés, tout pleins d’une métaphysique abstruse. Sauveurs, « réformateurs », comme nous les appelions, qui, pendant deux heures, trois heures, vous exposaient leur « affaire » avec une conviction sombre, et qu’il fallait écouter sans broncher, et surtout sans sourire. Plaie d’Égypte qui s’était à ce point répandue que, pour nous débarrasser de ces fâcheux, nous nous les passions l’un à l’autre : Montpetit les renvoyait au Père Papin Archambault ; le malin Jésuite me les renvoyait, et pour n’être pas en reste de malice, je les renvoyais à Minville, après avoir décliné ma compétence en ces problèmes ténébreux. Phénomène des temps troublés, ai-je dit, que cette germination de pseudo-prophètes. En cette année 1958, où j’écris ces lignes, les prodromes d’une autre crise économique ont déjà fait surgir le même phénomène. J’ai là, sur mon bureau, un long projet de république canadienne qui nous apporterait une palingénésie.

Orientations était bâti de « pièces de rapport » jointes de main légère par une idée dominante : le souci national. Disons une invite à une prise de conscience aiguë de ce qui pourrait s’appeler la faiblesse, l’inconsistance du vouloir-vivre collectif de la nationalité canadienne-française, et par suite fatale, de son peu d’attachement à sa culture, à sa tradition historique. Cheminement d’un mal secret dont l’auteur croyait discerner les symptômes, tout particulièrement au lendemain de la Confédération. Régime politique qui, selon lui, aurait brouillé au possible la no-