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mes mémoires

Et voici le propos grave, ce sens du tragique, ai-je écrit tout à l’heure, qui étreint quelques-uns de ces jeunes hommes :

Il m’apparaît que la dernière bataille pour l’existence approche — à moins que nous ne soyons déjà au cœur de la mêlée, sans nous rendre compte de l’importance des événements actuels. C’est le dernier moment de l’adolescence : nous crèverons de rachitisme, ou nous deviendrons une nation adulte.

Ces propos d’un jeune homme de vingt-et-un ans peuvent sembler simplistes à un professeur d’histoire du Canada qui a assisté, de ses yeux ou rétrospectivement, à vingt réveils du nationalisme canadien-français. Pour moi, je les donne pour ce qu’ils valent. Mais je ne veux point faire de fausse humilité : j’y crois fermement, depuis plusieurs années.

Dans les années prochaines le mouvement de ces Jeune-Canada va garder son énergique et franche allure. Du mieux qu’il m’est possible, je leur apporte mon appui. Le 6 juin 1933, je l’ai rappelé plus haut, je les accompagne à Québec et prononce une conférence à leurs côtés et fais leur éloge. Ils étudient ; ils fortifient la vie intérieure de leur groupe ; ils tentent, non sans obstacles, de revivifier l’ACJC, redevenue œuvre d’action nationale. Ils n’abandonnent point pour autant les rencontres avec le grand public. Ils célèbrent, à leur façon, le quatrième centenaire de la découverte du Canada par une assemblée au Monument National (Montréal, le 22 janvier 1934). Le 3 décembre de la même année, autre assemblée, en la même salle, où ils abordent ce sujet : « Qui sauvera Québec ? » Le 8 avril 1935, de nouveau ils convoquent bravement leurs sympathisants au Monument National de Montréal. Le public répond encore une fois à leur appel. Je lis dans le compte rendu du Devoir : « Le parterre du vaste édifice de la Société Saint-Jean-Baptiste [de Montréal] était rempli à sa capacité. Des représentants des diverses sociétés de la ville avaient pris place dans les loges. » Les discours des jeunes orateurs se ressentent des origines belliqueuses de leur groupe. Ils foncent fougueusement contre les politiciens. Le président des Jeune-Canada, Jean-Louis Dorais, esprit plutôt modéré, esquisse du politicien canadien-français, ce portrait médiocrement flatteur :

Un homme aveugle, sourd et muet quand il s’agit du bien commun, gueulard de première force quand il s’agit de méduser