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sixième volume 1931-1939

les électeurs, en même temps que très habile prestidigitateur quand il s’agit de vider la caisse électorale ou d’y détourner les deniers publics.

Bernard Hogue ne se montre pas moins impitoyable. Thuribe Belzile, aussi cruel, prononce un discours plus constructif : aux côtés du vil politicien, il décrit le vrai politique. Le discours principal, ce soir-là, est prononcé par Paul Simard, petite figure intelligente, jeune homme d’une remarquable distinction. M. Paul Simard, écrit le journaliste du Devoir, « a, en quelque sorte, tracé l’idéal des Jeune-Canada ». Il le fait en quelques phrases ; elles vont loin :

Il nous faut acquérir à tout prix notre indépendance intellectuelle, politique, économique. Notre religion ne doit plus être une croyance de routine ; elle doit redevenir la soumission quotidienne de notre volonté libre. Notre pensée canadienne-française doit s’affranchir de la tutelle américaine matérialiste que lui imposent nos journaux jaunes.

Québec doit devenir au plus tôt un État libre dans lequel la nation canadienne-française sera absolument maîtresse de ses destinées. Dans le domaine économique il nous faut vaincre tous les spoliateurs étrangers. Une telle résurrection spirituelle ne s’accomplira que par le ralliement de tous sous une même bannière : celle d’un même chef.

À ce point de son discours, le jeune orateur lâche le grand mot. En quelques contrées de ce temps-là, des ecclésiastiques ont été poussés à la direction de leur pays. S’autorisant de ces exemples, les Jeune-Canada se sont mis en tête de se donner un chef en soutane : « Il nous est impossible, continue toujours Paul Simard, de trouver un chef parmi nos hommes publics… Mais alors cherchons ailleurs. » Et après une présentation plutôt somptueuse, Paul Simard livre à l’auditoire le nom que l’on devine. L’illusion dangereuse se propageait. Malheureusement (voir Le Devoir du 9 avril 1935) Le Devoir avait vigoureusement abondé dans le même sens. Dans le Zodiaque ’35, Robert Rumilly venait de m’enrôler parmi ses Chefs de file. Il en avait recensé presque une trentaine : ce qui faisait bien des chefs et bien des files. Mais j’étais présenté sous la figure de l’homme édifiant « l’œuvre nationale propre à ennoblir une vie, même une vie d’intellectuel et de prêtre… » André Laurendeau va encore plus loin dans les Études de Paris (5 juillet