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mes mémoires

canadienne d’enseignement post-scolaire. Les cours avaient lieu à l’Académie des Sœurs des SS. Noms de Jésus et de Marie. Les collégiens des hautes classes du Collège de Saint-Boniface assistaient au cours. Chaque soir lorsque je me rendais à l’Académie, ces jeunes gens m’accrochaient au passage. Et c’était pour me poser des questions comme celles-ci :

M. l’abbé, croyez-vous que la province de Québec vivra ?

M. l’abbé, est-ce qu’on pense à nous là-bas ? Est-ce qu’on s’intéresse véritablement à notre survivance française ?

Sur la fin de mon séjour, le recteur du Collège, alors le Père Mailhot, s.j., me prie avec instances de donner une causerie aux élèves.

— De quoi souhaitez-vous que je leur parle, Père ?

— Parlez-leur de la province de Québec qu’ils connaissent mal ou point, ou qu’ils ne connaissent, en tout cas, que par les images défavorables que leur ont transmises leurs parents. Dites-leur ce qui s’y passe, ce qu’elle est devenue, etc.

« Images défavorables » du Québec gardées par les ascendants des émigrés, avait dit le Père. Hélas, quelle vérité trop cruelle ! Allons-y d’une autre réminiscence. Un soir, à Chicago, lors du Congrès eucharistique international, j’assistais à un grand banquet offert aux délégués du Canada français. À table j’avais pour voisin un Monsieur Fortin, établi là-bas pour affaires depuis une trentaine d’années. Au cours de la conversation il me dit :

— Votre groupe se rend à Kankakee demain ?

— Oui, l’on nous y donne une réception officielle.

— Réception officielle à laquelle assisteront peu de gros bourgeois enrichis de la petite ville.

— Vraiment. Et pourquoi ?

— Parce qu’ils auront honte de se montrer aux côtés des pauvres gens du Québec… ! Savez-vous, continua mon voisin, quelle image les anciens et leurs descendants gardent ici de la province