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mes mémoires

du pétard, de tout ce qui dérange la « douceur de vivre », où tout le monde se coudoie, se marche sur les pieds, porte en soi les susceptibilités des écorchés vifs ? Je consulte en l’occurrence René Chaloult. Il me répond, le 12 octobre 1934 :

Je connais bien, même très bien, ces jeunes gens qui dirigent la revue Vivre. L’un d’eux est mon cousin germain. J’ai souvent rencontré Jean-Louis Gagnon dont le père est mon voisin pendant la saison d’été, à Lorette. Ils ne manquent certes pas de talent ni d’une certaine culture littéraire. Ils ont de l’idéal, de la sincérité, du courage. Leurs idées, parfois personnelles, sont généralement empruntées à Maurras, Daudet, et, chez nous, à Asselin. L’influence religieuse que ces messieurs exercent sur eux me paraît franchement néfaste. Jeunes et insuffisamment pourvus de sens critique, ils se laissent facilement séduire par toutes les doctrines de leurs idoles. Vaguement partisans d’une laïcisation générale, ils sont de L’Ordre sans réserves. Au reste, je les crois catholiques sincères et pratiquants. Comme Asselin qu’ils visitent, ils admirent vivement votre carrière d’historien et d’éveilleur national. Je crois toutefois que votre rôle d’apôtre catholique ne les frappe guère. Ils ne paraissent pas se douter que vous tenez visiblement et toujours à marquer toutes vos œuvres de votre caractère sacerdotal. Mais, je deviens indiscret. Bref, j’estime que vous pouvez leur faire du bien, car ils ont de la bonne volonté.

J’écris donc, ai-je dit, à Vivre une lettre que ces mousquetaires de petits Québecois se hâtent de publier. Les conseils n’y manquent pas : « Soyez sévères, graves, sans pourtant verser dans trop de pessimisme… La lutte pour la lutte a son ivresse, mais c’est une ivresse… Tirer sur ses troupes ou sur ses alliés avec autant de brio ou de désinvolture que sur l’ennemi, c’est peut-être d’un beau tireur : c’est d’une douteuse stratégie… On ne tire personne de sa misère à ne lui montrer que sa misère… » Mais à ces rappels à la modération se mêlait beaucoup de complaisance pour l’allure combative de Vivre. Je voyais poindre là d’autres signes d’espoir. Et c’est pourquoi je transcris ces autres lignes :

Ce qui me plaît dans Vivre, c’est d’abord votre foi dans la vie. Vous faites hardiment le pied de nez à nos petits vieillards de vingt ans. Vous n’admettez point que le temps soit venu de démissionner, quand nous sommes si bas par la faute de personne, mais simplement parce que notre courage n’est pas plus