Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
mes mémoires

passé s’anima sous nos yeux d’un souffle puissant. La Nouvelle-France se dressa triomphante et splendide dans nos mémoires. L’option des aïeux, après la conquête, de rester français prit alors toute sa signification… Lionel Groulx nous replaça dans la ligne de notre évolution historique la plus droite, la plus sûre, la plus ascensionnelle : la lutte pour l’autonomie… Du coup, il nous rendait l’espérance et la foi dans nos destins… Sur le charnier de nos déboires se dressait la mystique de l’État français.

Voilà désormais notre raison de vivre. Groulx retrouvait Papineau.

De quelles illusions, hélas, se berçait cette jeunesse ! Avait-elle bien mesuré son pauvre Élisée avant de lui jeter sur le dos le manteau d’Élie ? La Nation, vivante, troublante, scandaleuse parfois, végéta quelques années. La vie est dure au Canada français pour tout journal à moins qu’il ne soit journal d’action catholique ou journal de parti : celui-là soutenu par le clergé, celui-ci par les politiciens régnants. La vie est parfaitement intenable pour un hebdomadaire entêté à rester libre, et qui ose s’en prendre aux tout-puissants de la politique. La Nation, journal nationaliste, eut à se retourner contre les pseudo-nationalistes de l’Union nationale. Elle en mourut. Une autre équipe en vint donc à se disperser. Ces jeunes gens avaient-ils perdu leur peine et leur temps ? Combien d’entre eux, dans le naufrage qui engloutit leur petit journal, ont pu agiter, au-dessus de leur tête, une volonté de fidélité à la cause qui les avait passionnés ? Marcel Hamel, devenu novice bénédictin, m’écrivait, le 19 novembre 1941, de Saint-Benoît-du-Lac :

À La Nation, dont vous évoquiez la disparition, nous avons été ces adolescents sérieux et voulant accorder leurs destins avec un idéal. Comme les idées ne meurent pas, qu’elles couvent sous la cendre, il se peut bien que, plus tard, on aille y chercher à cette sincérité et ferveur d’un beau plaisir l’étincelle qui allumera les vastes incendies : littéralement, les politiciens prendront alors le feu au derrière. L’équipe s’est dispersée à tous les vents de la pensée : Pierre Chaloult est secrétaire de ministre ; J.-L. Gagnon cause du scandale à L’Événement-Journal, J.-P. Després est secrétaire de l’École du Père Lévesque ; Roger