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Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/309

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mes mémoires

vague mystique. Il y avait quelque temps que l’on n’entendait plus parler de lui. Venait-il de subir l’initiation au communisme ? S’était-il prêté à quelque lavage de cerveau ? D’une voix volontairement basse, discrète et chaude, il m’entretint de l’à-propos, des beautés de la doctrine de Marx, de l’irrésistible haine qu’elle savait développer en ses adeptes contre le capitalisme. Et alors, concluait-il, « puisque nous sommes rongés, dévorés par le capitalisme étranger, voyez donc quelle puissance, quelle fécondité de haine nous pourrions insuffler à notre peuple contre l’ennemi no 1 » ! Entrevue qui me laissa gravement songeur. Peu d’années plus tard, c’était pendant la guerre 1939-1945, Jean-Louis Gagnon, assagi ou désintoxiqué du marxisme, devenait au Canada l’un des publicistes les plus panachés de la guerre, l’un des plus hautains champions du capitalisme moderne. La sainte Russie étant, il est vrai, notre alliée, l’ex-disciple de Marx se faisait le féal chevalier de la Grande-Bretagne. Et, dans un livre fort vanté, il embouchait l’olifant pour chanter son hymne au nouveau dieu : Au vent du large.

Quoi qu’il en soit, il faut en prendre note, La Nation était venue un peu tard. Elle n’avait pu agir sur le chambardement politique de 1935-1936. Elle fut quand même un témoignage de l’état d’esprit batailleur, explosif, de la jeunesse de son temps. L’on ressentait plus que de la lassitude à l’égard des politiciens ; de cette camarilla l’on avait le dégoût, l’horreur. On soupirait violemment vers un changement, presque une révolution. On voulait, dans toute la force du terme, une restauration de la petite patrie, un décisif départ vers un grand avenir. La Nation exprima, incarna ces aspirations, cette soif, cette volonté. Son ton amer, coléreusement amer, lui vint des désenchantements de l’année 1936 : avortement de tant d’espérances. Quand on relit les dernières pages du petit journal, on pense, malgré soi, à ces soirs de bataille perdue, où des blessés, laissés sur le sol, pris de cauchemars, tirent à tout hasard leurs dernières cartouches.

L’on ose

Je parlerai tout à l’heure du réveil politique. Mais d’autres réveils seraient également à signaler. Quel temps fut plus fertile