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sixième volume 1931-1939

en ces sortes de miracles ! Enfin on s’ébrouait, on osait. On se livrait même à quelques audaces dans le domaine économique. Un Monsieur J.-H. Marcotte, homme d’affaires encore jeune, ancien de l’ACJC, publiait, en 1936, une brochure, sous le titre hardi : Osons ! Je ne résiste pas à la tentation de féliciter l’auteur. Enfin, les hommes du domaine de l’esprit et des choses « pratiques » se ralliaient à l’émancipation de notre peuple. Osons n’est qu’un symptôme après d’autres de ce nouvel état d’esprit. En ma lettre que publie Le Devoir (12 septembre 1936) les louanges ne manquent pas sous ma plume à l’auteur de la brochure. Il ne porte, écrivais-je, « aucune des œillères trop coutumières aux hommes » de sa classe. Il n’est pas d’avis que « tout commence et tout s’arrête à la finance ». Il ne croit qu’à un « effort synthétique ». « L’économique ne se sépare point du reste de la vie, tout comme la vie d’un peuple ne saurait se passer de l’économique. » L’auteur n’est pas de ces « faux maîtres qui voudraient enfermer notre idéal de chrétiens et de Français dans une voûte de banque », pas plus que de « ces autres qui croient compatibles la vie de l’esprit et la condition de paria ». Je loue encore M. Marcotte de ne pas tout attendre de « cette grande décevante qu’est la politique ». J’ajoute même cette phrase qui plairait beaucoup aujourd’hui (je veux dire en 1958) aux tenants des freins ou de la surveillance toujours nécessaire en démocratie : « En notre société capitaliste, — et qui ne le sait ? — les politiciens ne restent généralement que des impuissants et des enchaînés si, pour les faire agir, un peuple ne se sert de sa volonté et du fouet. » Mais je veux aussi noter, en cette lettre, comme je me tenais loin de ce « messianisme » qu’on nous reproche si amèrement aujourd’hui, et par quoi nous aurions rêvé d’un peuple farouche champion de l’esprit et parfaitement dédaigneux des choses matérielles. En définitive, dans la construction de notre pyramide, diront nos critiques, nous n’aurions songé qu’à la pointe. Cette pointe, nous l’aurions voulu hisser jusqu’aux nues. Quant à la base, était-ce la peine d’y penser ?

Encore plus chaud, encore plus enthousiaste le compte rendu que je publierai, dans Le Devoir (26 juin 1937), d’un ouvrage de Victor Barbeau : Pour nous grandir. L’auteur avait écrit quelque temps auparavant un livre d’un réalisme aussi désolant que juste : Mesure de notre taille, description de notre misère écono-