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sixième volume 1931-1939

Je me reporte à ces événements de 1933-1935. J’aperçois un jeune politicien, débordant d’ambition. Pour lui la politique est devenue un sport, son sport favori, sport de célibataire qui l’incline à ne s’attacher qu’à soi-même, à sa fortune. Il use ses forces, son temps, au service d’un parti qui piétine, tourne en rond depuis des années. Un parti trop vieux, qui n’a pas su et ne peut plus se renouveler. Le pouvoir, — ce que les politiciens appellent le « pouvoir », — la joie et le profit de gouverner séduisent cet ambitieux et pourtant lui échappent comme un mirage. Mais pendant qu’il se consume en vaines espérances, soudain passe à sa portée une jeune barque, svelte, la voile bien tendue, le vent en poupe. Dans cette barque, de jeunes navigateurs voguent sous bonne étoile, ont mis sûrement le cap vers les rivages enchanteurs. Et l’ambitieux et jeune chef se dit : « Si je pouvais mettre le pied dans cette barque… Ce serait ma chance, ma seule chance… ! » J’ai décrit là, je le pense bien, par allégorie, l’état d’âme d’un certain Maurice Duplessis, devant les succès grandissants de l’Action libérale nationale. La jeunesse allait de ce côté-là ; elle n’allait pas de son côté. La jeunesse ! sphinx plus indéchiffrable, pour cet homme, célibataire égocentrique, qui ne connut jamais, à ce qu’il semble, la vraie jeunesse, la fraîcheur du cœur. La jeunesse est généreuse, mais avare d’elle-même. Surtout elle ne se donne pas à qui veut la prendre. Elle possède un flair qui la trompe rarement. Elle ne se donne qu’à bon escient. Elle a la passion des idées neuves, idéalisantes ; et, derrière ses idées, elle veut des hommes qui sachent les porter, qui les portent en leur regard, en leur démarche ; des chefs à qui elle se livre, elle exige du désintéressement, de la hauteur dans l’esprit, un mélange d’idéalisme et de joyeuse énergie.

Maurice Duplessis ne comprenait pas que la jeunesse n’allât pas à lui. Cela me valut la première — à proprement parler ma seule — entrevue avec lui. Un ami à lui et à moi, J.-E. Laforce,