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mes mémoires

vint me relancer à mon domicile de la rue Sherbrooke. Ce devait être en 1934. Laforce avait été ou devait être président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ; il était peut-être encore fonctionnaire du Canadien National où il s’occupait du rapatriement des Franco-Américains et de l’établissement des Canadiens français du Québec dans l’Ouest. En cette fonction, la compagnie de chemin de fer et le patriotisme de Laforce trouvaient égal profit. Au demeurant, un fort brave homme que ce fonctionnaire qui conciliait de son mieux patriotisme et allégeance indéfectible au parti bleu. Mon ami J.-Ernest Laforce vient donc un jour me prier d’accorder une entrevue à son ami Duplessis. Je refuse. Et je motive mon refus : l’homme ne m’inspire nulle confiance et je n’ai pas de temps à perdre. D’ailleurs je crois deviner la fin intéressée de cette entrevue. Quelques jours plus tard, l’ami Laforce revient à la charge.

— Vous savez, me dit-il, qu’ils seront les vainqueurs des prochaines élections [ils, ce sont Gouin et Duplessis]. Je reviens de voyage ; Gouin l’emporte dans toute la région de l’Abitibi ; Duplessis, dans celles du Saguenay, et du Lac-Saint-Jean. Il en ira de même dans le reste de la province. Or, M. l’abbé, vous n’ignorez pas qu’il importe de convertir les politiciens avant les élections plutôt qu’après.

De mon ton le plus désabusé, je réponds :

— Je ne crois guère à la conversion des politiciens. Il n’y a qu’une conversion qui change les hommes : la conversion religieuse. Elle seule retourne un homme comme un gant. Mais alors c’est que Dieu s’en mêle.

Mon ami Laforce insiste. Et je me demande : Vient-il de lui-même ? Ou vient-il poussé par l’autre ?

— Fort bien, finis-je par répondre. J’accepte. Mais vous serez de l’entrevue. Avec cette sorte d’hommes, j’aime qu’un témoin soit là.

Au jour dit, les deux compères s’amènent. C’est le soir, vers les huit heures. Maurice Duplessis dispose d’une couple d’heures avant le départ du train pour Trois-Rivières. Dès l’abord, on me permettra cette observation : l’homme n’offre rien alors du reluisant qu’on lui reconnaîtra plus tard. Il porte un habit légèrement