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sixième volume 1931-1939

longtemps vainement attendu. Les slogans des périodes électorales ne cesseront de nous rabâcher : « Monsieur Duplessis a donné un drapeau à sa province ! » L’histoire est-elle si simple ? La campagne pour l’adoption d’un drapeau proprement québecois et canadien-français, emblème officiel de la nationalité canadienne-française, cette campagne, dis-je, s’était vigoureusement ranimée sur la fin de l’année 1947 et au début de janvier 1948. Les propagandistes avaient mis en branle tout ce qui pouvait pétitionner auprès du parlement : sociétés nationales, commissions municipales, commissions scolaires, associations de toute espèce. Soixante mille signatures appuyaient ces pétitions. Fort de cet appui, le député Chaloult dépose devant la Chambre une résolution où il requiert l’adoption du drapeau fleurdelisé. Que fera le premier ministre ? Par quel truc de procédure écartera-t-il le débat ? Le soir du 19 ou 20 janvier 1948, un appel téléphonique m’arrive de Québec. René Chaloult est au bout du fil :

— Je sors d’une longue entrevue avec le premier ministre. Il est fortement ennuyé et même impressionné par les pétitions qui pleuvent en trombe sur son bureau. Il hésite ; il ne sait que faire ; mais il craint surtout les réactions de l’opinion anglo-canadienne. Et alors voici ce qu’il a résolu. Il accepterait le drapeau, mais à la condition d’y apposer au centre les armes de la province de Québec. Et il m’a dit — ce qui trahit ses appréhensions — : « Il y a là un lion. Mais tu n’as pas raison d’en avoir peur. C’est le lion de Guillaume le Conquérant. Ce n’est pas un lion anglais. » Que devons-nous faire ?

Je réponds à Chaloult :

— Je n’ai nulle qualité pour trancher le débat. Je me suis occupé du drapeau un peu comme tout le monde… à titre de publiciste peut-être. Toutefois, puisque vous sollicitez mon opinion, je vous dirai : résistez jusqu’à la fin. Cette apposition d’ « armes » fort compliquées sur un drapeau est cocasse, absurde. Le drapeau ne sera pas de fabrication facile. Mais enfin, si le premier ministre n’en démord pas, cédez à sa fantaisie. Le gouvernement ou la Chambre auront quand même accepté le principe d’un drapeau vraiment à nous. Quant aux « armes » de la province de Québec, il sera toujours possible de les faire sauter un de ces jours.