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mes mémoires

Le lendemain, autre téléphone de René Chaloult. Le premier ministre a renoncé aux « armes » de la province. Mais il tient mordicus, pour plaire à l’opinion anglaise, à remplacer les « armes », au centre du drapeau, par une couronne ou une feuille d’érable. Je réponds : « Point de couronne s’il vous plaît. Mais va pour la feuille d’érable ! »

Que se passa-t-il du 19 au 21 janvier ? Si j’en crois mes informateurs, voici la suite de cet incident historique. Le premier ministre se présenta devant son cabinet. Il confessa son ahurissement devant cette manifestation de l’opinion populaire. Les ministres, m’a-t-on dit, auraient été savamment noyautés. Les pétitions, ils le savaient, ne constituaient qu’une première offensive. Le lendemain, une vraie nuée de sauterelles volantes, une grêle de télégrammes partis de tous les points de la province allait s’abattre sur le parlement. Fallait-il décevoir une fois de plus l’opinion populaire ? Allait-on laisser au député Chaloult tout le mérite de sa résolution ? L’Opposition libérale, conduite par Adélard Godbout, avait promis son appui à René Chaloult. À sa grande surprise, le premier ministre, arrivé en face de ses collègues, les découvre presque tous gagnés au fleurdelisé. Rasséréné, bon tacticien, il se trouve de l’esprit. Un débat à la Chambre risquerait d’éveiller de dangereuses susceptibilités. Donc point de débat. Un simple arrêté ministériel. Et le drapeau, sans mot dire, est hissé le 21 janvier 1948, sur la tour centrale du parlement de Québec. Tactique heureuse. Devant le fait accompli, sidérés, selon leur habituelle réaction, nos compatriotes anglo-canadiens s’inclinent. Un seul journal, le Daily Telegraph de Québec, je crois, trouve à maugréer. Mais l’on retiendra qu’à ce geste du 21 janvier 1948, M. Duplessis ne mit pas toute la spontanéité qu’on lui prête. Et comme quoi aussi, l’histoire des politiciens ne s’accorde pas toujours avec l’histoire véridique. Le 10 février 1948, j’écris à René Chaloult :

Vous m’adressez des félicitations au sujet du drapeau. C’est vous d’abord qui les méritez. Si l’étape décisive a pu être franchie, c’est à votre audace courageuse que nous le devons. Le succès est considérable. Il nous reste à l’exploiter à plein… L’œuvre urgente est d’obtenir maintenant que ce drapeau flotte sur un peuple et sur un pays véritablement français de visage et d’âme.