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sixième volume 1931-1939

savoir que les promesses d’élection c’est fait pour être violées ! » Pour ma part, nullement étonné de la tournure des choses, je me sentis très près quand même de l’abattement. J’éprouvais quelque chose de la détresse de l’oiseau — qu’on me passe la comparaison — atteint d’un coup de feu en plein vol, et qui se voit tout à coup rivé au sol. Dans ma lettre à l’auteur d’Osons (12 septembre 1936), j’avais écrit ce mot que les vainqueurs d’alors goûtèrent peu : « cette grande décevante qu’est la politique ». Mes ambitions, mes rêves s’élevaient-ils trop haut ? Je m’étais tellement flatté de l’espoir qu’un jour viendrait pourtant où un petit peuple, le nôtre, prendrait en mains, tout de bon, son destin. Ce bonheur insigne serait le sien d’inaugurer une politique vraiment canadienne-française et surtout inspirée du catholicisme : politique saine, de haute doctrine et de droite ligne, politique de synthèse, embrassant dans l’ordre tous les domaines de l’activité nationale. Un groupe humain trop abattu, trop exploité, trop résigné, n’allait-il pas connaître enfin la joie des suprêmes libérations ? Et surtout le loisir ne serait-il pas le sien d’apprendre ce que peut la foi, et ce que peut l’Église pour un redressement d’histoire ? Dans La Relève, livraison de septembre 1934, un jeune collaborateur, Jean Chapdelaine, me rendait ce témoignage : « L’abbé Groulx est un homme qui voit loin, c’est aussi un homme fier. Il sait que les siens peuvent tout, il veut les pousser à réaliser le plus possible. » Eh oui, nous nous sentions, aux environs de 1935, si près de la chance suprême, de l’unique chance peut-être de remonter la dure côte des malheurs accumulés depuis 1760. Et ce sont toutes ces espérances qu’il nous fallut rentrer, les ailes broyées. Qui n’a pas vécu notre déception de ces années-là ne peut se figurer le goût de cendre qu’elle nous a laissé. Les mouvements nationalistes sont lents, au Canada français, à se former, à prendre leur élan. Nous avions assisté à l’écroulement du mouvement de Bourassa ; cet autre survenait à peine dix années plus tard et il se doublait de l’échec de l’Action libérale nationale. Pas moins de vingt-cinq ans passeraient, avant