Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
mes mémoires

qu’un autre mouvement pût se refaire des ailes. Toute une autre génération serait à ressaisir, à former. Et cette autre génération aurait-elle les oreilles et l’esprit ouverts aux mêmes idéaux, aux mêmes appels ? Les nationalistes d’hier pourraient-ils ne pas apparaître à ses yeux comme de sinistres revenants, des attardés racornis, des dupes par trop faciles à rouler ? Je trouve quelque chose de ces appréhensions ou de ce désenchantement anticipé dans une autre lettre du Dr Hamel, celle-ci du 17 août 1952 : « Je voudrais suivre votre exemple, éperonner ma monture et m’élancer de nouveau au combat mais, hélas ! impossible. Me voilà à dos d’âne. J’aurais plutôt l’air d’un Don Quichotte ou d’un Sancho… Vous voulez une relève ; je ne la vois pas poindre encore sur le terrain où nous avions engagé le combat. Toute une équipe est disparue et les remplaçants se font encore attendre. » En attendant la province allait vivre sous le signe d’un pseudo-nationalisme : tout ce qu’il fallait pour enrégimenter les arrivistes et les opportunistes. Au fond la même politique routinière s’allait perpétuer, politique sans grandeur, ventre à terre, celle-là même qu’on avait abattue pour prendre sa place. Un minimum de concessions à l’opinion publique, mais tout juste ce qu’il faut pour se maintenir au pouvoir.

Quant au problème jugé alors capital, celui de la ressaisie des richesses naturelles, problème, à vrai dire, de tout l’avenir économique du Canada français et même de son avenir tout court, ce serait la suite des mêmes concessions ruineuses, des mêmes complicités avec le capitalisme étranger, au profit de la caisse électorale et de quelques maquignons souterrains de la haute finance et de la haute industrie. Mystère de l’Histoire et de ses hasards : l’homme, le petit, le médiocre, l’incompétent, aussi puissant pour défaire que le grand homme peut l’être pour faire ou refaire.

Avais-je contribué, si indirectement que ce fût, à cette déception ? Quelques-uns l’ont pensé et me l’ont reproché, dans le temps, sur le ton de la taquinerie. « Vous avez forgé l’escabeau, me disait-on, qui a permis à Duplessis d’escalader le pouvoir. » Culpabilité si indirecte, si lointaine qu’elle n’a jamais troublé ma conscience. Pourtant je retrouve quelque allusion à cette culpabilité dans l’article de la Direction de La Presse, à la mort du