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et d’étudiants de l’Université Laval. Faut-il ajouter après tout cela, l’état d’énervement où vit, depuis un an ou deux, la jeune génération, depuis la tournure des élections de 1936 ? D’avoir été trompée si odieusement, je n’exagère rien, lui a presque mis la rage au cœur ! Le trio de Québec, je veux dire le trio Grégoire-Hamel-Chaloult, garde toute sa popularité. Ernest Grégoire est toujours maire de Québec. Que la jeunesse guette l’occasion de manifester, de crier sa colère, de donner libre cours à ses déceptions trop refoulées, qui peut s’en étonner ? On ne parle pas pour rien de « passions de la foule », « d’émoi collectif ». Irrésistiblement une part de l’opinion cherche, à ce moment de 1937, un moyen de se satisfaire, de se libérer, appelle je ne sais quoi. Une voix, peut-être ?…

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À Vaudreuil, dans ma solitude des Rapaillages, en ces débuts de juin 1937, j’ai péniblement élaboré mon discours au Congrès de Québec. Le sujet — « L’Histoire, gardienne des traditions vivantes » — me paraît beau, mais un peu vague, difficile. Et je le confesse, je me sens par trop dominé par l’émotion des amis, des milieux de jeunesse, émotion faite de dépit, d’amertume, par suite des événements politiques que l’on sait. Comment rester dans le ton serein, comment chanter l’espoir, l’avenir, quand l’on sentait tout compromis, tout à reprendre ? En même temps, du reste, je devais élaborer un autre discours. Au Lac-Saint-Jean l’on préparait, pour le 24 juin, une célébration régionale de la Saint-Jean-Baptiste. J’avais accepté de prononcer, le soir, le discours principal, en plein air. Je me rendis à Roberval, lieu de la fête. Je parlai, dans un décor inoubliable : sur le perron de l’Hôtel de ville, la foule massée au bord du lac ; la lune, une lune ronde, lune joyeuse, montait sur la surface de l’eau d’un calme impeccable ; dans le pourtour de la foule, à l’écoute debout, d’autres auditeurs massés sur les vérandas formant cercle. Je n’ai pas gardé de notes de ce discours. Je me fiai à l’improvisation, ainsi que je m’y livre d’habitude, devant les assemblées populaires. Puis, quelques jours suivraient, jours de fatigue. Les bons amis du Lac-Saint-Jean m’allaient promener de paroisse en paroisse, me faire voir leur région dont ils sont si fiers. Donc longs dîners, longs soupers, longues veillées dans les presbytères. L’on est