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sixième volume 1931-1939

si curieux d’avoir sous la main un Montréalais, et d’apprendre de lui ce qui se passe dans la grande métropole, de discuter de tous les sujets passionnants du jour. Des amis de Roberval me ramènent à Québec par le Parc national, que je traverse pour la première fois. Je suis tellement fourbu que, malgré moi, et en dépit de la magnifique nature, restée vierge, les yeux me ferment ; je m’endors sur le siège arrière de l’auto. Pour me tenir éveillé, sans doute, on m’avait promis de me faire voir des orignaux, le long d’un petit lac où ils ont coutume, m’avait-on assuré, de venir brouter des herbes salées. J’ai vu le petit lac, mais vide de tout animal. Un moment pourtant la voiture freina. Arrêt brusque. Une bête s’est jetée en travers de la route. Un orignal ! Il vient de dévaler de la montagne qui nous borde. Et tranquillement, sans peur, sans hâte, il prend le petit trot devant nous. Un magnifique animal ! Pendant quelques arpents, je puis l’admirer à mon aise. Le vrai roi de la forêt canadienne : hauts jarrets, port souverain, poil luisant, gris-noir ; à droite, à gauche, il promène son panache pour nous tenir en respect et il garde la route comme si elle était la sienne. À la première courbe seulement, jeté de côté, il nous regarde passer avec un air de grand seigneur.

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Après ces longues heures de voiture, j’arrive à Québec, on devine en quel état. Ouvert la veille, le Congrès bat son plein. Pour me dégourdir, je vais prendre l’air un peu. La capitale a pavoisé. Les rues foisonnent de touristes, de congressistes, l’insigne au revers de l’habit. Dans une montre de grand magasin, qu’aperçois-je ? Deux mannequins de cire, grandeur nature : Louis-Joseph Papineau donnant la main au petit abbé. Enthousiasme d’amis québecois. Je vais loger au Grand Séminaire. L’on m’y a retenu une chambre. Quelques visites, des rencontres dans la rue et ailleurs me permettent de prendre le pouls, l’atmosphère des assises nationales. On se plaint. Tout se déroule selon le rite majestueusement officiel. Le plus parfait académisme. Tous les sujets d’actualité, tous les problèmes de fond tenus soigneusement à l’écart. Les autorités, me disent quelques-uns, ont-elles voulu, par ce Congrès, empêcher les manifestations bruyantes et frondeuses d’un centenaire de « 37 » ? Si oui, elles peuvent se