Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
340
mes mémoires

temps, par-dessus tous les découragés. Qu’on le veuille ou qu’on ne le veuille pas, notre État français, nous l’aurons ; nous l’aurons jeune, fort, rayonnant et beau, foyer spirituel, pôle dynamique pour toute l’Amérique française. Nous aurons aussi un pays français, un pays qui portera son âme dans son visage. Les snobs, les bonne-ententistes, les défaitistes peuvent nous crier, tant qu’ils voudront : « Vous êtes la dernière génération de Canadiens français ! ». Je leur réponds avec toute la jeunesse : « Nous sommes la génération des vivants. Vous êtes la dernière génération des morts ! »

Dans l’auditoire, ce fut un beau débridement. Toutes les impatiences, toutes les indignations amassées dans les esprits et dans les cœurs juvéniles, par l’atmosphère déplaisante du Congrès et par les déceptions amères de l’Union nationale, tous ces sentiments trop longtemps contenus explosèrent comme la lave d’une bouche de volcan. Le forum avait envahi l’académie. On vit des allusions où peut-être il s’en trouvait. On en vit même où il n’y en avait pas. Certaines phrases, certains traits qui ne visaient qu’à stigmatiser de vieilles sottises, parurent des flèches vengeresses dirigées contre les régnants du jour. J’ai compris, ce soir-là, jusqu’où peuvent aller les entraînements d’une foule qui n’attend que l’occasion de manifester.

Étais-je plus en forme que d’habitude ? Au début, je me sentais extrêmement las. L’accueil sympathique de mes auditeurs a toujours décuplé mes modestes moyens. Ma fatigue disparut. Je pus tenir le coup jusqu’à tout près de minuit.

Mais j’y reviens : l’effet de ce discours fut surtout un effet de surprise. Il détonnait, détonnait même trop dans l’atmosphère doucereusement euphorique du Congrès. Valdombre le note, à sa façon goguenarde, dans ses Pamphlets, no 8 (1er juillet 1937) :

Jusque-là, mes bons petits enfants, les pontifes et les piliers des grandes circonstances, les officiels chamarrés de rubans, éclatants de décorations (même qu’il y en avait de tribus nègres) s’étaient louangés les uns et les autres et, avant la fin du troisième jour, on avait épuisé toutes les cassolettes d’encens et liquidé le vieux stock des sentimentaleries. Jusque-là, mes bons