petits enfants, le soleil avait rayonné au fond des âmes les plus obscures et l’on avait consommé l’apothéose de la survivance française… Soudain, ce fut le coup de foudre ; puis ce fut l’orage… Les paroles de l’abbé Groulx, de la première à la dernière, demeurent des actes. De là, le coup de foudre dont parlent les gazettes. De là, l’orage qui assombrira la vieillesse de plusieurs gros personnages, clercs et laïques. On devine que les plus illustres ne soient pas encore revenus de leur étonnement et que si jamais ils meurent d’apoplexie, il faudra en tenir l’abbé Groulx responsable.
Effet de surprise, et aussi, dirais-je, besoin irrésistible de crier sa déception, son écœurement, voilà qui explique le comportement de la foule en cette soirée du 29 juin. À certains égards, le mot de Roger Duhamel, dans La Province du 14 août, pouvait paraître juste : « discours-torpille ».
Lorsqu’à minuit tout proche, j’abandonne le micro, je me sens proprement épuisé. J’ai soutenu un effort au-dessus de mes forces. Mon col romain mouillé, ma chemise mouillée, ma soutane mouillée m’en avertissent. Rentré au Séminaire, j’aurais aimé me reposer, laisser tomber peu à peu ma tension nerveuse. Des amis m’entraînent dans un petit fumoir. Ils veulent ressaisir, commenter les émotions de la soirée. Il s’en va deux heures quand on me laisse regagner ma chambre. Je dors peu. Le matin, après messe et déjeuner, je rencontre, dans la foule qui babille dans les corridors du Séminaire, Mgr Camille Roy :
— Eh bien, Monseigneur, m’avez-vous trouvé si terrible ?
Réponse diplomatique :
— Mon cher, je n’ai rien entendu. J’étais fatigué. Je me suis couché.
Par bonheur, Monseigneur avait recouvré la voix. Quelques pas plus loin, je croise mon ami, l’abbé Wilfrid Lebon. Il n’était pas au Colisée la veille au soir. De la Beauce, où l’orage l’avait retenu, il m’avait entendu, par le truchement d’un défectueux appareil de radio ; à certains crépitements de la foule, il en avait deviné assez pour aviver sa curiosité bien connue. Il accourait à Québec, pour s’informer. Il m’aperçoit fripé, vanné.