Page:Groulx - Mes mémoires tome III, 1972.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
353
sixième volume 1931-1939

Ainsi amis et adversaires s’unissent dans une publicité qui, pour être d’inspiration bien opposée, aboutit au même point.

Un logis et une secrétaire

En 1938 j’atteins mes soixante ans. On s’empare du banal anniversaire pour me tresser de nouvelles couronnes. Un témoignage touchant m’arrive que je mets au-dessus de bien d’autres. Il me vient de la lointaine Alberta. Une souscription[NdÉ 1] va bon train en 1938, par tout le Canada français. On veut, pour me « venir en aide », me fournir les moyens de me payer un secrétaire. L’appel s’envole jusque dans les écoles albertaines, vers des groupes d’enfants appelés « avant-gardistes ». On leur demande une petite obole, ne serait-ce qu’un sou. C’est bien peu, un sou, leur écrit dans La Survivance d’Edmonton, l’oncle Gérard LeMoyne : « Mais ne vois-tu pas que l’abbé Groulx pleurerait de joie rien qu’à voir qu’il y a dans l’Ouest et dans tout le Canada une véritable croisade d’enfants qui paient de leur poche et qui lui aident à faire d’eux “la génération des vivants” ? » En effet, des sous m’arrivent et des listes d’enfants souscripteurs et une bottée de gentilles lettres. Une fillette m’écrit, entre autres choses : « Jamais nous ne pourrons vous rendre le juste tribut de reconnaissance et d’appréciation qui vous revient. » Salut des petits Albertains ! Il m’alla droit au cœur. Aujourd’hui encore le souvenir ne m’en revient pas sans quelque frémissement en mes fibres les plus profondes.

Une souscription, ai-je dit, battait son plein à travers le Canada français. Nos institutions patriotiques, Société Saint-Jean-Baptiste et autres, en avaient pris la direction. On voulait me venir en aide en mon œuvre historique. Quelques-uns souhaitaient me ramasser une somme d’argent qui me permît de poursuivre plus commodément mes recherches, soit au Canada, soit même en Europe. D’autres voulaient me fournir l’assistance d’un secrétaire. D’autres enfin m’avaient plaint en mes déménagements successifs, des numéros 3716 et 2098 de la rue Saint-Hubert au 847 est, rue Sherbrooke, à la recherche chaque fois d’un logis un peu moins étroit, plus salubre, mieux éclairé. Même sur la rue Sherbrooke, je ne sais plus où loger livres et paperasses dont la

  1. La souscription portait le nom « Les amis de l’abbé Groulx ».