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mes mémoires

trop d’avenues fermées devant cette génération qui accédait à la vie. Dans la grand-ville on battait la semelle, au bec une cigarette plus mâchée que fumée. L’avenir prenait figure d’une porte de fer, sans la moindre ouverture, close inexorablement. Et c’est cette jeunesse qui, pour s’arracher à son désarroi, cherchait elle ne savait trop quoi ni qui : une recette, un remède contre la maléfique époque, une doctrine pour en sortir, pour en empêcher le retour, un libérateur, un chef, quoi ! Si déçue, après 1935, elle ne savait plus où se tourner. Pourquoi m’a-t-elle tant demandé ? Elle a cru que je serais le guide dans le tunnel noir ; que chef, je pourrais l’être, pas seulement dans l’ordre de la doctrine, des idées, mais encore de l’action, et même pour quelques-uns, de la politique. Foi naïve, excessive, foi aveugle, que je ne me rappelle pas sans un serrement de cœur. Pouvais-je répondre à si anxieuse attente ? J’en rends grâce au Bon Dieu : aucun enthousiasme, aucun emballement de la jeunesse ou de mes amis, nul des encens qu’on me fit brûler sous le nez ne m’ont, à aucun moment, ravi la conscience de mes limites, je dirais volontiers de mes misères. Né peut-être pour la pensée, pour le travail de cabinet, je crois, plus que pour l’action, rien, dans mes occupations ni dans mes études ne m’avait préparé à un rôle sur la grande scène publique. Surtout ne me sentais-je ni la vocation ni l’inclination à un rôle politique, fonction d’ailleurs interdite à un prêtre dans notre conjoncture religieuse. Mon seul mérite, s’il faut m’en prêter un, ce fut tout au plus d’avoir ressenti plus que personne peut-être, à l’époque, la détresse de la jeune génération et ce fut encore, toute ma vie, d’avoir souffert, et souvent de façon aiguë, du mauvais sort fait à notre petit peuple en son pays : misère politique, misère économique, sociale. De là ces élans, ces ressauts, presque ces révoltes qui m’ont jeté dans la mêlée plus que je ne l’aurais voulu. De là ces frémissements, ces cris du cœur qui secouent, soulèvent parfois mes écrits et mes discours. Un jeune de ce temps-là, Jean Vallerand, dans Le Quartier Latin (28 janvier