je ne m’administre qu’une dose réputée bénigne. J’y attrape une syncope, la première de ma vie. Et me voilà condamné au lit, puis à la chambre, tous mes ressorts rompus. Fin d’avril, aussitôt les beaux jours revenus, mon ami Henri Groulx me transporte à Vaudreuil, à ma petite maison de campagne. Dans le cercle de mes proches et de mes amis, on me croit un homme fini. Marcel Hamel, qui me rend visite, me trouve la mine définitive d’un vieillard et l’écrit dans La Nation.
Pronostic prématuré. Ces affaissements nerveux — j’en connaîtrai deux ou trois en ma vie, un à Rome même et à la veille de mon examen en théologie — ont ceci de particulier qu’ils m’affectent peu le moral. Je ne suis pas de tempérament à broyer du noir, à me repaître de la mélancolie romantique. Un jour j’écrirai ces lignes qui manifestent ma foi invincible en l’action, en la Providence : « Nous nous fatiguons. Nous nous décourageons parfois. À quoi bon tant parler, tant écrire, tant semer ? Et cependant n’y aurait-il qu’un grain, qu’une graine qui consentît à germer, aurions-nous perdu notre temps ? La nature nous donne l’exemple d’une semence à prodigalité infinie. Un arbre jette au vent ou à ses pieds assez de graines pour repeupler la forêt. Semence souvent tombée pour y pourrir. Un jour pourtant, une graine lèvera quelque part, parmi les arbres morts pour perpétuer, propager une espèce. »
Au milieu de l’été, quoique toujours convalescent et débile, j’entreprends une refonte et une réédition d’Une Croisade d’adolescents, refonte que je souhaitais depuis des années, tant me faisait peine l’édition de 1912, écrite je ne sais comment, en style de collégien. En septembre, je pourrai reprendre mes cours à l’Université. Cet arrêt forcé mettra fin à une période de ma vie. Un surmenage de dix ans m’avait valu cet écroulement de santé. Devrais-je l’écrire ici ? Au milieu de mes courses, de mes travaux, de mes dépenses de plume et de parole, une inquiétude sourde qui allait parfois jusqu’à l’angoisse lancinante, n’avait cessé de me miner. J’ai dit les espoirs, les appels de la jeunesse de mon temps. Pourquoi m’a-t-elle accordé si grande, si entière confiance ? Il y avait de la misère au plus profond du cœur des jeunes, une misère poignante, trop longtemps prolongée. Période de chômage où l’amour du travail, le talent ne servaient à rien. Trop de carrières,