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tout de suite pour que la conférence parût en brochure. Ce qui fut fait. On ignorait presque tout de ce passé scolaire, presque tout des circonstances inéluctables qui avaient conduit notre petit peuple à l’analphabétisme. Malheurs suprêmes. Mais, en 1930, plus de cent ans plus tard, avions-nous le droit d’invoquer ces circonstances « comme des excuses » ? Je transcris quelques parties de ma réponse. Ces lignes feront voir le peu de part que j’accordais alors à l’illusion. Peut-être aussi inclineraient-elles la jeune école historique à juger moins sévèrement un passé qu’il lui plaît de trouver « petit et mesquin ». Je disais donc :

Et d’abord, est-il vrai qu’irréparables chez les individus, ces sortes de malheurs ne le seraient point chez un peuple ? Sans doute, la vie d’un peuple, longue, illimitée, se peut accorder des reprises, des revanches, interdites à l’individu, limité à une brève existence. Si celui-ci a perdu ses années de jeunesse qui sont ses années de formation, aucun artifice ne saurait les lui rendre. D’autre part, autour d’un peuple, la vie n’est pas stationnaire. La vie n’attend point qui s’attarde. Pendant qu’un peuple marque le pas, piétine, ses rivaux, souvent plus heureux, continuent d’avancer et de le distancer. Le jour où, ses moyens intellectuels recouvrés, il voudra reprendre sa marche en avant, que découvrira-t-il ? Qu’autour de lui, tout a marché plus vite que lui ; des chances, des avantages sont pris qui ne sont plus à prendre ; le milieu, le monde a évolué ; et pendant qu’entre lui et ce monde changé, le peuple arriéré tente des ajustements laborieux, de nouveau il s’attarde, il use à cette tâche des énergies que d’autres, plus favorisés, emploient toujours à le distancer et à le vaincre.

Ces concessions faites, je suppliais pourtant qu’en toute justice l’on mît en ligne de compte les efforts valables des générations anciennes pour échapper aux prises de l’ignorance et de l’inculture. Ce qui me conférait le droit de conclure, me semblait-il, par un appel à l’indulgence, en particulier pour nos déficits dans le domaine économique :

Puis, vous l’entendez bien, ce tableau de nos efforts et de nos réalisations ne nous laisserait nul droit de nous arrêter à ce point de la route comme à une halte de repos. La claire vision de ce que nous avons fait ne saurait être qu’une incitation à faire jusqu’au bout ce qui nous reste à faire. Mais, s’il vous paraît qu’en certains domaines et particulièrement dans le domaine écono-