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cinquième volume 1926-1931

mique, nous allons quelquefois d’une démarche un peu lente, un peu indécise, vous pourriez peut-être méditer ces propos que, l’autre jour, le cardinal MacRory, primat d’Irlande, tenait à son pays : « Vous avez à rebâtir la nation, car ce pays que l’on appelle l’Irlande était presque mort. Nous avons perdu, non seulement notre commerce et nos affaires, mais l’esprit du commerce et des affaires. »

Pour être plus grandes que les nôtres, ces misères nous font pourtant penser aux nôtres. Elles nous obligent à nous rappeler, avec quelque indulgence pour nous-mêmes, que pour des causes dont beaucoup tiennent à la conquête plus qu’au conquérant et dont quelques-unes même ne sont pas imputables à la conquête, il y a, en notre histoire, cette douleur tragique : nous sommes un peuple qui passe son temps à rattraper du temps perdu.

Réédition de La Naissance d’une Race

Toutes mes digressions de ces années-là ne me tirent pourtant point en entier hors de l’histoire. Pour l’automne de 1930, je prépare une réédition de l’un de mes premiers volumes : La Naissance d’une Race. Parue en 1919, la première édition de l’ouvrage est épuisée depuis longtemps. On désire une réimpression. Je n’y songe pas sans inquiétude. J’aurais tant voulu refondre, compléter, étoffer cet ouvrage de mes toutes premières années d’historien : ouvrage bâti trop rapidement et dont le caractère superficiel m’apparaît de plus en plus à mesure que j’avance dans l’inventaire de notre passé. Mais une refonte m’est impossible en 1930. Je suis alors aux prises avec l’étude de l’enseignement français au Canada, étude qui m’oblige à une vaste enquête en forêt vierge. Les instances de mon éditeur finiront pourtant par l’emporter, comme elles l’emporteront de nouveau en 1938, alors que je me déterminerai à une troisième édition, bien avant d’avoir terminé mes recherches sur le Régime français. En somme, en 1918, j’avais repris Émile Salone, mais en me plaçant à un point de vue précis et limité. Salone avait voulu écrire l’histoire de la colonisation française au Canada. Mon dessein consistait plutôt à découvrir et à décrire, à travers le fait de colonisation, la naissance d’une entité historique nouvelle, la nationalité canadienne-française. J’allais plus droit, ce me semble, à l’humain, à la fin