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cinquième volume 1926-1931

Si vous avez reçu le no du Figaro que je vous ai envoyé, vous avez pu voir le consolant succès que ma première conférence a remporté. Les suivantes n’ont pas été moins favorisées. Mon auditoire m’est resté fidèle, en dépit de la pluie battante quelquefois. Ce soir, j’avais devant moi plusieurs notabilités du monde des lettres, entre autres Émile Baumann et Louis Gillet. Les Canadiens de Paris étaient bien contents de leur petit conférencier qui, pendant trois quarts d’heure, a dû subir l’assaut des complimenteux parisiens et canadiens. Que le Bon Dieu en soit béni. Peut-être qu’après tout, notre pauvre petit pays en recueillera des amitiés qui, le cas échéant, lui seront serviables.

Une tranche de mon dernier cours avait particulièrement plu à mon auditoire de Français toujours un peu sentimentaux : ma finale. Je crois bien que, du même coup, je fis grand plaisir au deuxième secrétaire de notre Commissariat, M. Pierre Dupuy, en citant une page de l’un de ses écrits. Je transcris cette finale de mon dernier cours en Sorbonne. Elle aidera à reconstituer l’atmosphère de la vieille université parisienne, le soir où une voix française d’outre-mer secoua un peu, en ceux qui l’écoutaient, la fibre de fierté :

Mais vous entendez bien que notre fidélité s’appuie sur quelques motifs plus élevés. Accueillants à toutes les formes de la pensée anglaise ou américaine où la nôtre pourrait s’enrichir, nous réservons pourtant, dans nos esprits, une inviolable primauté à la culture de France, à cette éducatrice immortelle, par laquelle s’achèvera le perfectionnement de nos esprits, et par laquelle dériveront jusqu’à nous ces courants de pensées, cette substance d’art et de morale, ces fortes et fines vertus de la race qui font l’orgueil et le charme d’être Français. Quand nous parlons, en effet, de culture française, nous ne l’entendons pas au sens restreint de culture littéraire, mais au sens large et élevé où l’esprit français, fils de la Grèce et de Rome, nous apparaît comme un maître incomparable de clarté, d’ordre et de finesse, le créateur de la civilisation la plus saine et la plus humaine, la plus haute expression de l’équilibre mental et de la santé intellectuelle.

Ajouterai-je enfin que des raisons de rester nous-mêmes, de ne rien abdiquer de notre âme héréditaire, nous en avons d’autres, de plus intimes, mais non moins impérieuses ? Nous avons une