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mes mémoires

M. Firmin Roz, sous le titre : « Un historien canadien à la Sorbonne », donne tout un article au Figaro du 28 janvier 1931. M. Roz, et comme quoi deux auditeurs, même intelligents, peuvent ne pas entendre de la même oreille, explique d’une autre manière, le succès de mes leçons :

Si la forte pensée de l’historien se trouve, dans l’exposé d’un tel sujet, animée et vivifiée par la ferveur de l’homme d’action, c’est le talent de l’orateur qui réalise l’harmonie entre ces éléments divers, donne au discours à la fois son mouvement et son emprise. L’heure parut courte au vaste auditoire que la salle Louis-Liard suffisait à peine à contenir et qui a été séduite par la savante ordonnance de cet exposé, la précision et la fermeté du langage, l’élévation de la pensée, la conviction de l’accent, la vivacité ardente du regard, et cet exquis sentiment de fierté intellectuelle qui révèle l’héritier d’une vieille culture, d’une noble tradition. Il est impossible d’entendre ce Canadien français dans l’antique Sorbonne sans se dire que, lui aussi, il est bien de sa lignée.

Autre preuve que tous les auditeurs d’une conférence n’écoutent point de la même oreille, je relève cet autre jugement d’un Français, présent à la Sorbonne et à l’Institut catholique et qui écrit dans Le Droit d’Ottawa :

Ce succès est d’autant plus notable qu’on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un orateur, puisqu’il a la voix un peu sourde et une tendance fâcheuse à ne pas suffisamment accentuer ses voyelles et à laisser tomber la fin de tous les mots. Ce qu’il a dit était si rempli, et j’ajoute, si émouvant par la description documentée qu’il faisait de la misère intellectuelle dans laquelle, pendant trois quarts de siècle après la conquête, les Anglais se sont efforcés de maintenir les Français du Canada, que personne n’a fait attention aux défauts de la voix et de l’émission du conférencier, pour se pénétrer uniquement de la substance de ce qu’il disait…

Mes autres cours suivirent, à la cadence de deux par semaine, pour prendre fin le 3 février. L’auditoire ne parut pas se fatiguer, ni diminuer, du moins sensiblement. Voici ce que j’en écris à ma mère, le 3 février 1931, au sortir de la Sorbonne :

J’ai fini tout à l’heure mes cours à la Sorbonne. Il me semble que la montagne de Montréal m’est enlevée de dessus les épaules.