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mes mémoires

J’ai pensé à tous vous autres. Et j’espère que la chère petite Sainte qui a jusqu’ici si bien conduit mon voyage, continuera de vous protéger jusqu’à mon retour.

Mais j’allais me reprendre dans Le Devoir. Rentrant à Paris, j’écrivis mes impressions toutes chaudes et les envoyai au Devoir, à M. Héroux, qui les publia dans le journal du 19 mars 1931, presque à la veille de mon retour au Canada. Je transcris cet article où il me semble, j’ai mis tout mon cœur, toute ma ferveur de pèlerin en l’un des lieux du monde qui me sont le plus chers.

Pèlerinage à Lisieux
(par M. l’abbé Lionel Groulx)

M. l’abbé Lionel Groulx, qui sera de retour au Canada d’ici quelques heures, après une série de conférences en France et en Suisse, qui ont obtenu le plus grand succès, avait bien voulu nous adresser de là-bas, cet émouvant article, qui touchera tous les cœurs chrétiens :

L’on part, plein de hâte, comme à un rendez-vous de grande amitié, tellement la ville sainte attire de loin par ses puissantes antennes. Le train file vers le nord. Bientôt de chaque côté de la voie la Normandie montre son visage : une Normandie vallonnée, légèrement saupoudrée de neige par ce début de février. Les champs sont verts et gris. Les troupeaux, troupeaux bovins, non pas blancs marqués de roux, mais roux marqués de blanc, mordillent l’herbe demi-gelée, ou s’enfoncent la tête dans les hautes meules de fourrage. Des vols d’étourneaux et de corbeaux s’envolent d’un peu partout. Et les fermes normandes défilent avec leurs toits en tuiles jaunes ou rouges, très vieilles, souvent étançonnées de perches, quelques-unes mêmes dressant sous le ciel d’hiver leur toiture de chaume panachée d’une mousse verdâtre.

Quelques hautes cheminées, un amas de tuiles plus compact : c’est Lisieux. À peine sorti de la gare, l’on s’aperçoit qu’une présence unique emplit la ville. Il y a encore des reines de France. Les annonces sur les murs, les inscriptions au coin des rues, les enseignes des magasins, des maisons de pension et voire des grands hôtels s’inspirent du même souvenir, se rattachent au Carmel et aux Buissonnets, clament ici la royauté de la petite Française. Plus qu’au départ, bien entendu, la présence invisible saisit le voyageur qui arrive avec l’âme d’un pèlerin. Le charme