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cinquième volume 1926-1931

de la Petite Thérèse n’est pas un mythe : il opère merveilleusement. Dans un instant, il vous saisira tout de bon, lorsque, après avoir frôlé le Carmel, avoir franchi le seuil de la chapelle, vous l’apercevrez, à droite, dans sa châsse, un peu parée peut-être, mais dans le vêtement, sans doute, où la piété populaire aime voir la « Petite reine ». Elle est là, dans sa rotonde, derrière une haute grille de fer qui contient l’élan des pèlerins, mais n’arrête pas l’attirance, les émanations conquérantes des reliques sacrées. Les vitraux illustrent les plus grands miracles de Thérèse. Deux anges de marbre, gardiens de ses restes, vous rappellent en des livres ouverts sa doctrine spirituelle. Là-haut, dans une niche, la miraculeuse vierge du sourire. Le parquet est jonché de fleurs, de roses naturelles que les fidèles de la thaumaturge ne cessent de lui jeter à pleines mains. Près de la châsse, un ange plus petit, à l’allure de bambino, pince une harpe, symbolise la candeur, la simplicité joyeuse de l’enfance spirituelle et harmonise toute la scène. La chapelle romane du Carmel, un peu agrandie, est restée simple, presque austère. Les ex-voto achèvent de lui faire un revêtement de marbre : parure d’un goût discutable, mais où trouve à se satisfaire encore une fois la piété des humbles.

C’est l’hiver, temps peu propice aux pèlerinages. Pourtant les pèlerins ne cessent d’affluer par petits groupes. Rarement la chapelle est déserte et la grille de la rotonde, privée de son rideau de priants. Quelques minutes, je m’arrête à considérer les passants. Bien peu que le charme de Thérèse n’arrive pas à dominer. La plupart tombent à genoux et s’abîment dans une prière intense où l’élan du corps révèle celui de l’âme. Quelques-uns entrent en curieux, mais bientôt domptés, conquis par l’atmosphère du lieu, dissimuleraient vainement leur émotion. Peu ont le goût de causer, de lorgner, comme un peu partout en ces églises d’Europe qu’on visite ainsi que des musées. Deux vieillards qui n’ont pas fléchi le genou, ne se sont pas signés, restent là pourtant, recueillis quelques minutes, ayant l’air de chercher au fond de leur mémoire quelques débris de prière.

* * *

Mais il faut se hâter vers la deuxième station du pèlerinage. Sorti de la chapelle et de la salle des reliques, l’on gravit pendant dix minutes une pente douce ; à droite l’on s’engage dans une ruelle en équerre, où les pieds des pèlerins ont déjà arrondi le